jeudi 29 octobre 2015

Justice est faite

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"... Alors, qui peut en quelques heures comprendre un inconnu, déterminer à quel mobile il a obéi, décider dans quelle mesure il mérite... d'être puni ?"

 entame, avec Justice est faite1, un triptyque judiciaire primordial dans le cinéma français d'après-guerre. La double compétence de l'éphémère avocat aux barreaux de Toulouse puis de Paris, dans un premier temps reconverti en journaliste et romancier, lui permet d'aborder des sujets spécifiques et délicats. Le scénario de ce drame écrit avec  en constitue un parfait exemple. Deux thématiques fondamentales y sont en effet étroitement associées : l'implicite responsabilité du juré d'assises et la sanction pénale de l'euthanasie (une question qui, plus d'un demi-siècle après, suscite davantage de débats, politiques et prétoriaux). Le jury populaire, issu du tribunal criminel instauré après la Révolution (législation amendée en 1810, 19422 et 2000), offre-t-il les meilleures garanties d'une justice objective et impartiale ? Peut-on négliger l'incidence des idées et sentiments personnels de ses membres sur le rendu du verdict ?
Désigné comme juré par le tribunal de Versailles et menacé d'amende en cas de refus de la convocation, Evariste-Nicolas Malingré est contraint de confier le plantage des pommes de terre à Amadeo, son bien indolent ouvrier. Le fermier et les six autres citoyens retenus par les avocats (l'antiquaire Marceline Micoulin, le garçon de café Félix Noblet, le propriétaire équestre Gilbert de Montesson, l'imprimeur Jean-Luc Favier, le commandant à la retraite Théodore Andrieux, le commerçant Michel Caudron) vont avoir à juger Elsa Lundenstein, accusée d'avoir injecté une dose mortelle de morphine à son compagnon depuis huit ans, Maurice Vaudrémont, souffrant d'une grave maladie à un stade avancé et qu'elle a remplacé à la tête du laboratoire pharmaceutique familial. Une lettre laissée par le défunt disculpe la jeune femme en attestant qu'elle a répondu à la volonté exprimée d'abréger des douleurs devenues insupportables. L'important héritage testamentaire, évalué à trente-cinq millions de francs, en faveur d'Elsa apparaît en revanche comme un élément à charge.
Pour Justice est faite retient une approche, à la fois didactique et romanesque, susceptible de concerner un public assez large. Le scénario n'estompe pas pour autant la complexité des problématiques exposées. Il ne prend pas non plus position, l'opinion du cinéaste (son hostilité à la peine de mort a été plusieurs fois formulée) sur la pertinence du jury citoyen restant d'ailleurs incertaine. Les différents personnages font l'objet d'un soin particulier. Celui d'Elsa Lundenstein (interprété avec force et sobriété par la comédienne 3)pourtant peu présent à l'écran, est remarquable. Notamment en raison des sentiments opposés qu'il peut faire naître. Considérée comme étrangère (quoique fille née en France d'un couple lituanien réfugié en France en 1914) et présumée amorale (parce qu'élevée sans religion dans un pays chrétien) par certains, Elsa force néanmoins le respect en raison de sa réussite universitaire (docteur en médecine) et professionnelle, mais aussi pour son dévouement, son sens du devoir, sa détermination et son courage.
 confronte quelques uns des jurés (divers tant sur le plan de l'éducation que sur ceux de la situation sociale et des convictions) à des circonstances aptes, selon le cas, soit à la réflexion, soit à la mise en valeur soit encore au renforcement (contradictoire) des préjugés. Associé pour la deuxième fois au cinématographe Jean Bourgoin4, il soigne également sa réalisation, faisant régulièrement preuve d'inspiration visuelle. Outre  citée précédemment, la qualité de la distribution se révèle presque sans faille. ,  et  disposent d'assez de latitude narrative pour témoigner leur talent respectif.  et  tiennent les seconds rôles les plus en vue ; on note enfin la participation de  ainsi que l'apparition de . Récompensé par le "Lion d'or" de la 11e Mostra, l'unique film de  produit par Robert Dorfmann obtiendra l'un des cinq "Ours d'or" (celui du meilleur film policier ou d'aventure) décernés cette année-là lors de la première Berlinale.
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1. complété par Nous sommes tous des assassins (1952) et Le Dossier noir (1955) (voir article).
2. les décisions de culpabilité et de peine, auparavant séparées entre jury et magistrats, se trouvent désormais partagées ; le nombre de jurés est également réduit de douze à six membres.
3. pensionnaire de la Comédie-Française depuis 1946, inoubliable incarnation du personnage-titre de "Jeanne au bûcher" de Paul Claudel.
4. le collaborateur de Jean Renoir et d'Yves Allégret travaillera notamment ensuite avec Orson Welles (Mr. Arkadin), Jacques Tati (Mon oncle) ou encore Marcel Camus (Orfeu Negro). Le chef-op. parisien obtiendra en 1963 un "Golden Globe" et un "Oscar" pour la photographie de The Longest Day.






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