dimanche 19 juillet 2015

Compulsion (le génie du mal)

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"... And if He didn't, who did?"

Qualifiée à son époque de "crime du siècle", l'affaire Nathan Leopold-Richard Loeb (reconnus coupables de l'enlèvement et du meurtre d'un adolescent de quatorze ans), jugée* à Chicago en septembre 1924, avait marqué les esprits moins pour ses circonstances que par les motivations des deux complices âgés respectivement de dix-neuf et dix-huit ans. Cinq ans après son déroulement, elle inspire "Rope", pièce en trois actes signée par l'Anglais , d'abord portée à la télévision (1939 et 1947) par la BBC puis adaptée de façon magistrale par  en 1948. Premier film produit par Richard D. Zanuck (fils du célèbre Darryl F.)Compulsion est lui tiré de l'ouvrage éponyme publié en 1956 par le romancier, journaliste et réalisateur . Plus fidèle aux faits, le récit nerveux écrit par le Chicagoan (né en 1905 comme Leopold) s'appuie en outre sur sa propre observation des événements (comme Sid Silver/Brooks dans le livre/film a en effet fréquenté l'université de Chicago tout en étant apprenti-reporter au moment de l'affaire).
Le scénario rédigé par  (Boomerang!, Cry of the City, Panic in the Streets) choisit de minorer le significatif (dès le titre) argument freudien du livre, y compris la dimension vraisemblablement homosexuelle de la vénération éprouvée par l'arrogant introverti Leopold pour le sociopathe séducteur Loeb, au profit de l'altération conceptuelle** de deux individus immaturés. Ce qui caractérise ces deux étudiants infantiles, négligés par leurs parents, est moins une attirance délibérée ou inconsciente pour le mal que le goût du défi, de la transgression et leur perception dangereusement différenciée de la valeur de l'existence. L'épisode entre Judd Steiner et Ruth Evans révèle d'ailleurs une intéressante car contradictoire perspective de cette analyse.
Contexte, crime (seulement figuré, à la différence du livre, par le cadavre de la victime à la morgue) et investigation semblent néanmoins ne constituer que les prémisses d'une narration axée vers la conclusion judiciaire. L'apparition, au bout d'un peu plus d'une heure de métrage, d' et la durée inusitée du monologue final (l'un des plus longs de l'histoire du cinéma) renforcent cette nette impression. Au terme d'un inspiré quoique rationnel plaidoyer contre la peine de mort, Compulsion s'achève sur une soudaine, brève et bien surprenante immixtion de la dialectique justice immanente-transcendance. Dynamique, rythmée par un montage serré, la réalisation de , comme la solidité du casting réuni ( déjà cité, , tous trois récompensés par le prix d'interprétation du 12e Festival de Cannes, mais aussi  remarquée pour tout premier rôle dans Peyton Place ou contribuent grandement à la qualité du film.

N.B. : deux productions ultérieures, Swoon (1992), le premier long métrage de Tom Kalin et Murder by Numbers (2002) de Barbet Schroeder, s'inspirent plus ou moins explicitement de la même affaire criminelle.
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*le procès eut des répercussions médiatiques au moins aussi importantes que ceux du riche héritier Harry Kendall Thaw ou de Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti.
**comme Raskolnikov, le personnage principal du "Crime et châtiment" de Dostoïevski, les deux complices du meurtre de Robert 'Bobby' Franks espèrent commettre le crime parfait ; contrairement à lui, ils sont issus de familles très aisées et considèrent que leur supériorité intellectuelle les place au-dessus des (conventionnels) impératifs moraux, donc des lois. La notion nietzschienne du "Ubermensch", couramment mal comprise et/ou falsifiée, n'est ici que brièvement évoquée.

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