vendredi 31 juillet 2015

Band of Angels (l'esclave libre)

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Au couplage -romance sudiste pendant la Guerre de Sécession répond à coup sûr l'évocation de Gone with the Wind. Un réflexe (quasi pavlovien !) dont a souffert1, par comparaison, cette libre adaptation du roman éponyme (édité en 1955) du poète, romancier et critique littéraire 2. Force est de reconnaitre que le film produit entre janvier et mars 1957 par la Warner ne peut espérer porter ombrage au célèbre drame épique en deux parties réalisé, dix-huit ans plus tôt, par  pour David O. Selznick et la MGM. Assez peu fidèle à l'œuvre originelle, le scénario co-signé par  (Colorado Territory) et le duo Ivan Goff-Ben Roberts (Man of a Thousand Faces) privilégie, il est vrai, avec une certaine superficialité les éléments mélodramatiques du récit. Il estompe aussi fortement l'(inconsciente ?) attirance réciproque entre la négresse blanche3 Amantha Starr et Rau-Ru qui fonde en partie la soudaine dissidence de celui-ci à l'égard de son bienveillant maître Hamish Bond.
Les thèmes connexes de l'esclavagiste (plus ou moins éclairé), de l'abolitionnisme (moral ou politique) et du métissage ne constituent pour Band of Angelsqu'une vague toile de fond narrative à l'histoire d'amour interracial unissant un riche propriétaire néo-orléanais au passé blâmable et l'orpheline déchue d'un planteur endetté du Kentucky. Conformiste mais solide, la réalisation de  ne suscite pas de sérieux reproches. Dans un rôle sur mesure,  a tendance à  aux côtés, pour cette unique occasion, d'une 5 dans l'ensemble plutôt convaincante. Aux portes de la célébrité (grâce au rôle de Noah Cullen dans The Defiant Ones sorti l'année suivante) parvient, à la différence d'6, à donner une relative consistance à son personnage. Soulignons également la vivace présence de la comédienne et chanteuse . Le lourd échec commercial du film mit enfin un terme à la récente collaboration, initiée avec The Tall Men (1955), entre  et .
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1. le film n'a-t-il pas été surnommé "The Ghost of Gone with the Wind" ?
2. auteur natif du Kentucky surtout connu pour "All the King's Men" ("Prix Pulitzer" 1947) porté quatre fois à l'écran, la première par  en 1949.
3. situation vécue par Peola dans les deux adaptations (1934 et 1959) du roman de  et par Patricia 'Pinky' Johnson de Pinky (1949).
4. référence aux esclaves incorporés dans l'armée unioniste dont l'espérance de vie était particulièrement courte, un aspect tout juste évoqué dans le film.
5. l'actrice et danseuse canadienne naturalisée étasunienne (partenaire de Burt Lancaster dans le polar Criss Cross) possède des ascendants sicilo-écossais du côté de sa mère.
6. surtout acteur de télévision qui connaitra une certaine notoriété grâce à la durable série The F.B.I. (1965-1974).





jeudi 30 juillet 2015

Le Vice et la vertu

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"Les Américains forcent vos dernières lignes de défense et vous, vous répétez une revue pour tabarin !"
L'incorporation de plusieurs séquences d'archives sert-elle à ancrer le film dans le contexte historique choisi ou à tenter de dissimuler l'absolue vacuité de son scénario ? Disons-le d'emblée, cette indéfinissable transposition1 de deux personnages sadiens2 à la fin de la Seconde Guerre mondiale relève au mieux de la futilité, au pire du grotesque. La huitième (neuf si l'on tient compte du segment "L'orgueil" dans le collectif Les Sept péchés capitaux) réalisation de  apparaît en effet aujourd'hui comme une incartade cinématographique un peu extravagante. De plus déplaisante, en raison également du médiocre emploi des seconds rôles et de la boursouflée bande originale d'inspiration wagnérienne composée par Michel MagneLe Vice et la vertu présente la particularité de réunir pour la première fois3 l'expérimentée  et la presque débutante , alors compagne de l'ancien collaborateur de . Le contraste, en terme de profondeur et de nuance de jeu, entre les deux actrices se révèle d'ailleurs assez frappant. Le film contribuera néanmoins à mieux faire connaitre la sœur cadette de Françoise Dorléac, le succès l'année suivante des Parapluies de Cherbourg lançant véritablement sa carrière. Dispensable !
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1. écrite par le réalisateur-producteur, Roger Vailland (Les Liaisons dangereusesEt mourir de plaisir) et la participation de Claude Choublier (Le Repos du guerrier).
2. Justine et Juliette issues de l'ouvrage (en trois versions successives) de Donatien Alphonse François de Sade : "Les Infortunes de la vertu" (1787) édité au XXe, "Justine ou les malheurs de la vertu" publié en 1791, "La Nouvelle Justine ou les malheurs de la vertu, suivie de l'histoire de Juliette, sa sœur" (ou les Prospérités du vice) paru en 1799. Lequel inspirera ensuite  (1969),  (1972),  (1975) et  (1977).
3. la seconde dans la comédie  (1964) de Philippe de Broca.

The Zero Theorem (zero theorem)

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"Zero must equal 100%."

L'inverse peut aussi se vérifier ! Ce douzième long métrage de  tend, en effet, asymptotiquement vers le vacuum filmique. En particulier s'il doit endosser sa condition de dernier volet de la trilogique dystopique d'influence orwellienne comprenant déjà Brazil et Twelve Monkeys. Vieux projet* porté par Dean Zanuck** sur la base de la nouvelle "The Call" (1999) écrite par le méconnu , la production est réactivée, avec des ambitions revues à la baisse, et sa direction confiée aux "bons soins" de . Est-ce l'histoire originelle ou sont-ce les successives réécritures du scénario, le constat s'impose assez vite et n'est jamais contredit : insignifiance et faible cohérence (hors délire assumé) caractérisent une narration présomptivement métaphysique (ressassement du montypythonien "sens de la vie"). Le sort de Qohen Leth (rôle tenu par , également co-producteur du film), confiné et pathétique spécialiste du traitement d'abstractions dans un environnement à la fois mécanique et puissamment virtualisé, nous indiffère totalement. Infantile, artificiel, The Zero Theorem est une pure calembredaine tendance niaiserie, fade digression sur le thème de l'être et le chaos. Ou, pour l'exprimer autrement, une sorte d'"Etre et le temps"... pour les nuls.
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*dans lequel Billy Bob Thornton devait tenir le rôle principal avant de se désister.
**le petit-fils de Darryl F. Zanuck a notamment co-produit Road to Perdition de Sam Mendes et collaboré avec Tim Burton sur quatre de ses films (2001-2007).



mercredi 29 juillet 2015

Le Glaive et la balance

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"- ... Quand on s'est trouvé tout à coup en présence d'un troisième homme.
- Et... depuis deux mois...
- Nous tournons en rond autour du phare."

Peut-être parce que la critique lui avait un moment reproché faire précéder le cinéaste par l'avocat,  s'éloigne à la fin des années 1950 de son sujet de prédilection pour tourner trois drames au caractère moins affirmé. Il y fait néanmoins un retour assez discutable avec ce long polar judiciaire, produit par Robert Sussfeld (collaborateur notamment de ) associé pour cette unique occasion à Willy Pickardt, au casting prestigieux. Le dernier scénario co-écrit avec Charles Spaak fonde sa narration sur une astucieuse énigme crimino-situationelle que des investigations policières et de personnalité vont successivement tenter de résoudre. Le jeune fils d'une riche veuve, installée à proximité d'Antibes, est enlevé avec demande de rançon. Grâce à la surveillance mise en place sur le lieu de récupération, les équipes mobilisées par le commissaire Pranzini parviennent à filer discrètement les ravisseurs. Mais l'intervention inopinée d'un motard de la gendarmerie, abattu par ceux qu'il poursuivait, modifie le cours des événements. Après avoir tué l'enfant, les deux malfaiteurs essaient de s'enfuir à bord d'un bateau à moteur mais sont rattrapés à l'extrémité d'une digue. Sommés de sortir du phare où ils se sont réfugiés, François Corbier puis Jean-Philippe Prévost se soumettent à l'injonction, bientôt rejoints par un troisième homme, l'Etasunien Johnny Parsons ; chacun affirmant ne pas connaitre les deux autres.
La ruse de cet amorçage, singulièrement pertinent pour l'exposé de l'argument principal du film, la disculpation sur la base du doute*, se trouve hélas émoussée par les multiples développements, parfois superflus, auxquels se prête le scénario un peu laborieux. Le Glaive et la balance (emblèmes de la sanction et de la justice étatiques) souffre également de la qualité très inégale des dialogues d'Henri Jeanson** et du jeu de certains acteurs. On regrette aussi le sacrifice vainement consenti par  à la mode cinématographique du jazz et de la jeunesse turbulente. Le contrasté trio de tête d'affiche (, récent interprète, au cours de sa période européenne, de Josef K. dans Le Procès d', le sémillant  et le Toscan , titulaire de l'un des rôles-titre du Rocco e i suoi fratelli de ) et le plaisant effectif de seconds rôles franco-italiens (...) évitent au film de provoquer une trop forte déception.
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*l'influence de l'excellent 12 Angry Men (1957)  et  sur ls scène de délibération du jury n'aurait vraiment rien d'improbable.
**avec lequel  avait collaboré sur  (1938) de Marc Allégret et pour Farandole (1945) d'.



lundi 27 juillet 2015

Birdman: Or The Unexpected Virtue of Ignorance (birdman)

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"... And, uh, this play is kind of starting to feel like a miniature, deformed version of myself, following me around and..."

Le cinéma de fiction a été essentiellement conçu pour susciter des films comme celui-ci. Fondés sur des récits, tels ceux de , où magie et réalisme se combinent en se bonifiant l'un l'autre. Birdman: Or (The Unexpected Virtue of Ignorance) en constitue un remarquable exemple récent. Une œuvre dans laquelle imaginaire et fantasme tiennent une place décisive. Après quatre long métrages dramatiques,  souhaitait aborder la comédie, fut-elle noire, tournée en plan-séquence, un pari technique et artistique plutôt risqué. La production a été élaborée sur la base de ces options tonales et formelles. Ecrit à distance avec Alexander Dinelaris et les Argentins Nicolás Giacobone et Armando Bo (co-scénaristes de Biutiful avant de collaborer pour El último Elvis), le scénario nous fait entrer dans la tête d'une ancienne vedette (acteur d'un personnage de superhéros fantastique) de blockbusters hollywoodiens pleinement investi dans la très contrariante mise en scène d'une pièce1 à Broadway.
Réjouissante satire microcosmique, Birdman2 se délecte, à travers la troublante dualité de Riggan Thomson, de railler les absurdes, un peu infantiles relations entretenues par ces deux sphères à la fois contradictoires et nombrilistes du spectacle. Réseaux sociaux et critique en prennent également pour leur compte. Dans son premier rôle principal depuis Killing Gentleman (2008) dont il était aussi le réalisateur, Michael Keaton nous offre une interprétation assez épatante. D'autant plus que son personnage (selon lui, le plus dissemblable qu'il ait tenu) fait évidemment écho, aux années près3, à des épisodes de sa propre carrière. Jolie prestation d' et d' plaisamment entourés (, l'Anglaise ...). Candidat au "Lion d'or" de la 71e Mostra, le plus gros succès commercial d'4 a obtenu de très nombreuses récompenses dont deux "Golden Globes" (acteur principal d'une comédie et scénario) sur sept nominations et quatre "Oscars"5.
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1. adaptée de la nouvelle "What We Talk About When We Talk About Love" (1988) du poète-écrivain Raymond Carver (auteur des histoires qui ont inspiré Short Cuts de ).
2. titre emprunté à la série d'animation diffusée sur NBC entre 1967 et 1969.
3. l'année de sortie (1992) de "Birdman 3" correspond à celle de Batman Returns.
4. 42M$ de recettes US et 61M$ à l'international pour un budget compris entre 16,5 et 22M$.
5. meilleurs film (premier prix attribué à une production tournée intégralement en numérique, première comédie depuis Shakespeare in Love en 1998), réalisateur, scénario original et photographie (sur neuf nominations).


Le Miroir à deux faces

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"... Est-ce que j'ai l'air d'être le mari de cette femme là ?"

Unique collaboration d' avec Gérard Oury, ce premier scénario co-signé* par l'acteur (récent partenaire de  dans Le Dos au mur de ) comporte quelques intéressantes particularités. Il est en effet l'un des premiers (deux ans avant le réputé et inquiétant Les Yeux sans visage de ) à placer la chirurgie plastique, spécialité alors en vogue - notamment aux Etats-Unis - au nom du postulat de la "beauté à tout prix", au cœur de sa narration. Une "accidentelle" transformation faciale qui va remettre gravement en question le lien conjugal, mais aussi de sujétion, à l'intérieur d'un couple initialement assez banal et pousser le conjoint au meurtre (point de départ d'un récit en flashback).
Les thèmes de l'identité/altérité, de l'ambivalence, du décalage esthétique (l'apparence constituant, traditionnellement, un critère inégal, voire déterminant selon le sexe) et psychologique, de l'autonomie féminine fondent ce Miroir à deux faces. Double ambiguïté puisque la métamorphose de Marie-José Vauzange-Tardivet, fondée sur une recherche sincère et généreuse du bonheur, fait en quelque sorte contrepoint au sournois travestissement de sa véritable personnalité opéré par le mesquin Pierre Tardivet (indifférent au physique de sa future épouse... mais éliminant de façon systématique les candidates trop jolies, donc potentiellement infidèles) au moment de leur rencontre. Au moins deux autres éléments donnent un caractère singulier au film de . La décision (a priori saugrenue ou irrévérencieuse) de défigurer  (future épouse, en troisième noces, d'Oury) ; celle aussi, significative, de confier à ** son premier personnage (dans un rôle principal) dramatique, même s'il comporte quelques facettes comiques habituelles chez formidable acteur. L'aimable distribution de soutien réunie par les producteurs Alain Poiré et Henry Deutschmeister (parmi laquelle Gérard Oury en distingué chirurgien,  en Parisien expatrié, , ...) achève de nous convaincre.

N.B. : le film inspirera (vaguement !) la comédie sentimentale The Mirror Has Two Faces (1996) produite, réalisée et jouée par  (avec  et ) sur un scénario de Richard LaGravenese.
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*avec le réalisateur, sur des dialogues de  (Quand la femme s'en mêleet Denis Perret.
**associé, une seconde fois, à  dans Fortunat (1960), l'adaptation du roman de  par .