jeudi 28 mai 2015

Tasogare Seibei (le samouraï du crépuscule)

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"... Mais je pensais que l'ère du sabre était révolue."

La période transitionnelle entre le dernier shogunat et le retour à l'empire1, déterminante dans l'histoire du Japon, a souvent inspiré les écrivains tel Ryôtarô Shibaauteur d'Ansatsu (voir article) adapté par Masahiro Shinoda en 1964 et d'Hitokiri (voir article) porté à l'écran cinq ans plus tard par Hideo Gosha. Pour son soixante dix-septième film,  choisit trois nouvelles de 2 pour entamer la réalisation d'un triptyque dédié aux samouraïs3. Co-écrit avec Yoshitaka Asama4, ce premier volet est un jidai geki5 réaliste et intimiste dans lequel se heurtent incidemment drame personnel et impératif clanique.
Tasogare Seibei nous relate le destin de Seibei Iguchi, un samouraï de basse caste. Veuf précoce, père de deux fillettes Kayano et Ito mais aussi en charge d'une mère sénile, Seibei a contracté des dettes pour tenter de soigner sa défunte femme tuberculeuse. Le traitement versé pour son emploi dans un entrepôt vivrier du clan Unasaka ne lui permettant pas de subvenir aux besoins de sa famille, il confectionne chez lui le soir des cages à insectes commandées par un négociant. Sa condition l'empêchant d'envisager sereinement un second mariage, il décline la proposition d'épouser une veuve, sans même la voir, formulée de manière péremptoire par son oncle. Peu après, son influent ami Michinojo Iinuma lui apprend la répudiation de sa jeune sœur Tomoe exigée à sa demande par le suzerain en raison des brutalités de son mari, le samouraï Koda. Un soir, ayant raccompagné la jeune femme chez elle, Seibei obtient de remplacer Michinojo, provoqué en duel par un Koda éméché.
Si la souffrance et la pauvreté se trouvent au cœur de Tasogare Seibei, elles servent surtout à illustrer la condition sociale singulièrement dégradée du samouraï au déclin du shogunat. Le film souligne également le trouble lancinant, la vivace confusion qui caractérisaient alors une société japonaise pourtant étroitement codifiée et hiérarchisée. La narration en voix-off (par la fille cadette de Seibei) l'ancre dans un passé sans doute révolu, contribuant ainsi à sa tonalité nostalgique, en partie mélancolique. Le scénario, plein de finesse et de sensibilité, n'amplifie pas de façon artificielle la dimension tragique du récit. On apprécie en particulier l'adroit et juste amalgame de fragments résiduels de bonheur dans une prégnante infortune, l'évocation de l'instruction intellectuelle des filles et l'on est frappé par la symbolique déchéance (d'abord personnelle puis de guerrier idéalisé en vulgaire bourreau politique) imposée au personnage-titre. Belles interprétations des Tokyoïtes  et  (découverte en 1988 chez ) à la tête d'un casting plaisant et solide. Deuxième film de  candidat à un "Ours d'or" berlinois, Tasogare Seibei6 a reçu en 2003 treize des quinze récompenses décernées par l'académie du cinéma japonais pour lesquelles il était en lice avant d'être l'un des cinq films en langue étrangère retenus par les 76e Academy Awards.
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1. rappelons que le pays a connu deux grandes époques de shogunat, la première nommée Heian de 794 à 1185, la seconde dite féodale entre 1185 et 1868 s'achevant avec la restauration Meiji. Au cours de cette dernière, l'empereur installé à Kyoto conservait son statut de chef légitime, délégant l'administration à la dictature militaire. L'ultime dynastie de shoguns, celle des Tokugawa (1603-1868), était basée à Edo.
2. "Tasogare Seibei", "Chikkou Shiatsu" et "Iwaibito Sukehachi" publiés par Tomeji Kosuge (1927-1997) sous ce pseudonyme.
3. complétée par Kakushi ken oni no tsume (2004) et Bushi no ichibun (2006).
4. collaborateur depuis le septième épisode (1971) de la longue saga  (elle-même issue d'une série télévisée) dont  a réalisé quarante-six des quarante-huit opus entre 1969 et1995.
5. film historique plus que véritable ken geki (film de sabre).
6. produit par Ichirô YamamotoShigehiro Nakagawa et Hiroshi Fukazawa.

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