lundi 5 janvier 2015

Easy Virtue (le passé ne meurt pas)

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"... Why can't you be happy here?"

Adapter au cinéma muet une pièce de  ne relevait-il pas de la gageure ? L'esprit et la verve oratoire du polyvalent artiste1, tant apprécié de David Lean, étaient déjà, en effet, des caractéristiques essentielles de son œuvre. "Easy Virtue", seizième pièce de  écrite à l'âge de vingt-cinq ans et créée en 1925 aux Etats-Unis (avec Jane Cowl dans le rôle principal), critiquait sans détour l'hypocrisie, une certaine forme de phallocratie et, plus généralement, le conformisme2. L'adaptation d' réforme sa progression narrative tout en simplifiant son contenu de manière assez significative. Injustement jugée adultère lors du procès en divorce contre son mari Aubrey Filton, Larita essaie de reprendre sa vie en main en partant séjourner, sous le pseudonyme de Grey, dans le midi de la France. Elle y rencontre un compatriote, John Whittaker, qui s'éprend aussitôt d'elle. En raison de l'ardeur de sa passion, l'amoureux néglige de s'intéresser au passé de Larita, malgré les préconisations de celle-ci, et lui propose de l'épouser. D'abord réticente, Larita accepte ; le couple rejoint bientôt la demeure familiale des Whittaker où la mariée est accueillie froidement par la mère de son second époux.
"Petite vertu" (traduction du titre) qualifie, dans le langage courant, une femme se livrant à la débauche et, plus précisément, à la prostitution. La pièce et le film semblent donc laisser entendre qu'il n'existerait, au royaume de George V3, aucune gradation entre une femme déclarée adultère et une péripatéticienne (pauvre Aristote !). Le spectateur sait, grâce à un flashback au cours de la première partie judiciaire d'Easy Virtue, que Larita Filton a repoussé les avances de Claude Robson, le peintre chargé de faire son portrait. Le legs sans contrepartie de sa fortune par l'artiste, suicidé après avoir tenté de tuer le mari alcoolique et violent, a, hélas, constitué un déterminent élément à charge. Archétype de la femme en voie d'émancipation de cette seconde moitié des années folles4Larita paie ainsi, sans échéance, le prix du ternissement abusif de sa réputation. Elle est aussi l'antithèse absolue de sa belle-mère, hautaine, froide, autoritaire, bigote5 et soucieuse du qu'en-dira-t-on. La pièce de  et, dans une moindre mesure, son adaptation font en quelque sorte l'éloge de la modernité tout en soulignant certains des freins à l'évolution de la société britannique.
La nature et le contexte de l'intrigue dramatique paraissent restreindre l'expression de l'inventivité d'. On constate toutefois son constant et presque maniaque soucis du détail et l'on relève l'astucieux et original biais grâce auquel il illustre la réponse téléphonique à la demande en mariage. L'absence d'accompagnement musical, si elle surprend un peu, tend à renforcer le caractère intellectuel de la narration. Le casting manque singulièrement de piquant. 6 et  (qui ne s'étaient pas croisés à l'écran dans Downhill) ne parviennent pas véritablement à marquer les esprits. Une nouvelle versionplus fidèle à la pièce, sera écrite et réalisée quatre-vingt ans plus tard par l'Australien  (avec  et  en têtes d'affiche).
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1. acteur, dramaturge, scénariste, metteur en scène, compositeur et chanteur.  a été surnommé 'The Master' par Lord Mountbatten en raison de ses talents multiples.
2. terme qui désigne également la profession de foi anglicane.
3. dont le père, Edouard VII, appréciait les courtisanes.
4. Larita fume (beaucoup), consomme de l'alcool, se montre gaie et affectueuse.
5. la salle à manger est pompeusement encadrée par deux monumentales figures de saints.
6. divorcée en 1918 de Claude Rains... pour adultère !




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