lundi 21 janvier 2013

Vanishing Point (point limite zéro)

******
"I got to get movin'"

On pourrait légitimement s'interroger : pourquoi consacrer un article développé à une telle fiction(1)Vanishing Point possèderait-il une complexité narrative et/ou une charge émotionnelle suffisante(s) pour le justifier ? En apparence non ! Pourtant, avec ce film d'action dramatique, Richard C. Sarafian (longtemps employé par la télévision) réalise à cette époque le véritable archétype du road-movie, sans doute davantage encore que ne l'était l'Easy Rider de (et avec) Dennis Hopper sorti trois ans plus tôt. Surprenant quoique foncièrement linéaire (bien qu'il s'agisse en réalité, pour la quasi totalité du métrage, d'un long flashback alimenté par plusieurs séquences remémoratives - cf. infra)Vanishing Point illustre de manière très efficace le psyché des Etats-Unis du début des années 1970, sortis brutalement d'un rêve par l'acuité de ses contradictions et limites.
Dans la petite localité californienne de Cisco(2), précédés par un motard de la police, deux bulldozers roulent dans le même sens de la route. Les conducteurs immobilisent peu après leur engin en plaçant les lames côte à côte. Une camionnette de la chaîne CBS se gare bientôt à proximité alors qu'un hélicoptère de la police est chargé de suivre une automobile en approche rapide. Lorsqu'il aperçoit l'insolite obstacle, le chauffeur de celle-ci fait prestement demi-tour une première fois, puis une seconde, trois voitures de police venant à sa rencontre à grande vitesse. Il sort volontairement de la route, s'arrêtant au milieu de plusieurs épaves rouillées de véhicules. Dimanche 10h02. Denver (Colorado) le vendredi précédent à 23h30. Au terme du convoyage d'une voiture, l'homme en question décide de ne pas suivre le conseil de son collègue Sandy et de repartir aussitôt pour San Francisco au volant d'un Dodge Challenger 1970 de couleur blanche. Avec Jake, son fournisseur de speed, Jim fait le pari d'atteindre la ville californienne au plus tard le lendemain à 15h. Le matin, au moment où l'animateur afro-étasunien aveugle Super Soul de la station Kow débute son programme, l'individu refuse d'obtempérer à l'ordre d'un motard de la police. Une folle poursuite débute alors au cours de laquelle il occasionne la chute successive des deux représentants de l'ordre(3). La conduite délictueuse signalée, un barrage routier est rapidement dressé ; mais Kowalski, en utilisant le terre-plein central et l'autre voie en sens inverse, réussit à l'éviter puis à semer ses nouveaux poursuivants(4). Poussé à la course par le conducteur d'un cabriolet Jaguar XK-E, Kowalski provoque sa violente sortie de route jusque dans une rivière en contrebas. Rattrapé par les deux voitures de police, il se soustrait à leur chasse en pénétrant dans le Nevada.
Comme la plupart des films qui méritent que l'on s'y intéresse, Vanishing Point(5) soulève davantage de questions qu'il ne délivre de message ou n'apporte de réponses. Les enjeux sur lesquels il repose restent flous, incertains. Le simple pari sur lequel il semble s'appuyer, pas plus que la promotion des Pony cars(6), ne peut constituer un motif raisonnable pour accomplir un trajet de près de 1 300 miles en quinze heures(7). Une évidence s'impose néanmoins progressivement : le besoin (obsessif ?) de liberté caractérisée par un presque incessant mouvement sans entrave (même au prix du risque, de la transgression, voire de la rebellion - cf. exergue). Ce sont pourtant les séquences d'immobilité et d'échanges dialogués (en particulier avec le chasseur de serpents ou ceux, surréalistes, avec l'animateur-radio) qui apportent au film sa véritable densité narrative. Très différent, à la fois dans l'esprit et la tonalité, du Two-Lane Blacktop de Monte Hellman à l'affiche des salles new-yorkaises six mois plus tard ou du Sugarland Express de SpielbergVanishing Point arbore avec éclat son atypie fondatrice. Un libre remake, réalisé pour la télévision par Charles Robert Carner avec Viggo Mortensen dans le rôle de Jimmy Kowalski, a été diffusé en 1997 ; le film de Sarafian est également cité dans chacun des films du double programme Grindhouse/Death Proof.
___
1. apparemment en partie inspirée par deux faits divers.
2. située, en réalité, dans l'état de l'Utah.
3. insertion d'un flashback d'une chute pendant une course de dirt-track.
4. incorporation d'un flashback d'un accident lors d'une épreuve de stock-car.
5. i.e point de fuite (point d’un dessin en perspective où convergent des droites parallèles dans la réalité).
6. catégorie d'automobiles étasuniennes dont la mode fut lancée en 1964 par la Ford Mustang (co-vedette du Bullitt de Peter Yates) et la Mercury Cougar, prolongée notamment par les Chevrolet Camaro (1967), Dodge Challenger (1970), Plymouth Barracuda (1967) et Pontiac Firebird (1966).
7. il faut "normalement", selon les itinéraires, entre 19 et 20 heures pour les parcourir.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire