mercredi 21 novembre 2012

Darling (darling chérie)


"I always feel as if there's one more corner to turn, and I'll be there."

 - film - 10159_15
Histoire de femme imaginée par trois hommes, Darling se démarque sensiblement des deux précédents films de John Schlesinger. Tour à tour comédie de mœurs et satire sociale, il préfigure assez bien les transformations (en particulier celles issues de la deuxième vague féministe) en gestation au cours des années 1960 au sein de la société occidentale(1). Ce caractère précurseur et original explique d'ailleurs son explicite citation, parmi quelques autres productions britanniques de cette époque, dans le documentaire étasunien A Decade Under the Influence relatif à la décennie suivante. Présenté en première au 4e Festival de Moscou (avant de sortir aux Etats-Unis puis en Grande-Bretagne), Darling a été successivement récompensé par quatre BAFTA(2) et trois "Oscars"(3) en mars-avril 1966.
 - film - 10159_17
Une jeune femme relate, dans le cadre d'une série d'émissions intitulée "Ideal Woman", son existence. Au centre des attentions dès six ans, Diana Scott avait à vingt ans été choisie dans la rue pour répondre à quelques questions du journaliste de télévision Robert Gold. Celui-ci l'avait ensuite invitée à voir le programme avant sa diffusion, leur ludique amitié et complicité intellectuelle évoluant peu après vers une relation amoureuse. Epouse du gentil mais immature Tony, Diana était donc devenue l'amante de Robert, marié à Estelle la mère de ses deux enfants, à l'occasion d'un déplacement pour un entretien avec l'écrivain Southgate. L'un et l'autre avait ensuite quitté son conjoint pour emménager dans un appartement londonien. Gagné par la routine, le couple adultère vivait également ses premières crises, de jalousie notamment, Diana reprochant à Robert de passer trop de temps avec ses enfants et, par conséquent, son épouse. Elle avait pourtant repoussé la proposition de mariage de son compagnon. La nouvelle ambassadrice de la marque Honeyglow avait néanmoins trouvé opportun de devenir la maitresse de son mentor, le mondain et narcissique Miles Brand, éminence grise de l'homme d'affaires Charles Glass et influent dans le showbiz.
 - film - 10159_31
Portrait contrastée d'une séduisante arriviste (sorte de courtisane égarée dans la deuxième moitié du XXe siècle) ou d'une illusionnée en quête presque désespérée du bonheur ? Difficile de trancher radicalement. Le script de Frederic Raphael(4) ne manque en effet pas de contradictoires, impudiques voire provocatrices énergies. Le titre même(5), la séquence du générique(6) ou le sujet abordé(7) lors du tout premier échange entre Diana et Robert ne sont, à ce propos, évidemment pas anodins, fondant d'emblée le récit sur le paradoxe. Plus cérébral, sophistiqué et artistiquement ambitieux que le godardien Masculin, féminin auquel il fait penser, cette troisième collaboration entre Joseph Janni et John Schlesinger traduit remarquablement bien les motifs et limites de la (subversive ?) contestation contemporaine du modèle relationnel classique au profit d'un obstiné (et illusoire ?) hédonisme. Autour de la "merveilleuse, absolument adorable"(8) Julie Christie, trois (quatre !) hommes entretiennent une distanciée rivalité. En premier lieu les distingués Dirk Bogarde (Victim, The Servant) et Laurence Harvey (Room at the Top, The Manchurian Candidate) réunis pour cette unique occasion. Notons enfin la qualité de la photographie de Kenneth Higgins, chef-op. sur Terminus, à l'œuvre après deux films tournés par Denys N. Coop.
___
1. en 1965, date de la réforme des régimes matrimoniaux en France, les femmes peuvent enfin prendre un emploi sans autorisation préalable de leur mari et disposent désormais librement de leurs biens propres.
2. meilleurs acteur (Dirk Bogarde), actrice, décors et scénario britanniques sur six nominations (film et photographie N&B).
3. meilleurs scénario original, actrice principale et costumes (N&B) sur cinq nominations (film et réalisateur). 4. scénariste de Two for the Road, adaptateur de Far from the Madding Crowd du même Schlesinger et de Eyes Wide Shut.
5. "Darling" peut traduire soit de l'affection, réelle ou simulée, soit de l'amour ; le terme signifie aussi une préférence. C'est aussi le titre d'un roman porté à l'écran par Christine Carrière avec Marina Foïs dans le rôle-titre.
6. une affiche annonçant "Ideal Woman" recouvre un appel au secours humanitaire du peuple africain.
7. le conformisme.
8. ... enchanting, sexy, alive, vibrant, astute, clever and knowledgeable" selon Laurence Harvey.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire