samedi 29 septembre 2012

The Fallen Idol (première désillusion)


"We didn't have a secret!"

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Première des trois collaborations de Carol Reed avec Graham Greene, The Fallen Idol est librement adapté(1) d'un court récit de l'écrivain intitulé "The Basement Room". Un drame extra-conjugal somme toute assez banal s'il n'était appréhendé par un enfant, fils âgé de sept ou huit ans d'un diplomate francophone confié le temps d'un dimanche aux bons soins d'un couple désuni de domestiques. Un point de vue grâce auquel le film enrichit significativement sa narration tout en se conciliant les faveurs de la critique et d'un large public. Cette deuxième production du cinéaste lui permettait d'ailleurs de retourner à Venise (où Odd Man Out était déjà l'année précédente en compétition pour le "Lion d'or") et d'y obtenir le prix du scénario. Désigné meilleur film britannique lors de la 2e cérémonie des BAFTA, The Fallen Idol fut également nommé en 1950 aux Golden Globes (film étranger) et aux Academy Awards (réalisation et scénario).
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En ce samedi midi, le jeune Philippe assiste depuis le premier étage au départ du personnel de la délégation et à celui de son père l'ambassadeur afin de ramener son épouse longuement hospitalisée à l'étranger. Après avoir réussi à dissimuler son petit serpent Macgregor à l'acariâtre Mrs. Baines, le garçon rejoint l'époux de celle-ci au sous-sol pour y déjeuner. Renvoyé dans sa chambre, 'Phil' aperçoit bientôt Baines quitter le bâtiment et décide de le rattraper en empruntant l'escalier de secours. Il le surprend dans un salon de thé en compagnie de Julie, une employée de l'ambassade qu'il imagine être pour sa nièce. Sur le point de quitter son amant pour retourner en France, Julie promet néanmoins de le revoir le lendemain. En rentrant, Baines demande à Phil de ne pas mentionner la rencontre avec la jeune femme en présence de son épouse. Pendant l'absence de l'enfant, envoyé chercher son dîner, Mrs. Baines découvre le reptile caché derrière une brique du balcon et le brûle dans la chaudière. Du haut de l'escalier de l'office, il voit le couple se quereller et Baines évoquer brièvement leur séparation. Réprimandé par Mrs. Baines, Phil trahit involontairement son secret, poussé à évoquer le rendez-vous avec Julie.
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Film de scénario et de dialogues certes(2), The Fallen Idol n'en est pas moins une authentique œuvre cinématographique, adroitement mise en scène par Carol Reed, photographiée par le Parisien Georges Périnal (chef-op. notamment de René Clair, des frères Korda et du duo Powell-Pressburger) mais aussi solidement interprété par deux expérimentés comédiens... et un très jeune novice. L'assez longue première partie d'exposition oppose les caractères, permissif de Baines et disciplinaire de son épouse, dévoilant les sentiments antagonistes, admiration et détestation, qu'éprouve à leur égard l'enfant délaissé dont ils ont la charge conjointe. Elle développe également une intéressante variété de notions autour du thème de la vérité, de la dissimulation au mensonge en passant par l'affabulation (récréative ou non) et le secret (accepté ou contraint). Sur ces bases, la seconde partie(3) s'oriente résolument vers un classique suspense quasi hitchcockien dans laquelle les apparences sont au moins aussi trompeuses que les affirmations ou les complicités. Grâce à de judicieux choix visuels et graphiques, Reed et Périnal illustrent remarquablement bien les impressions de distance et de proximité. Autre atout du film, le naturel et l'apparente spontanéité de Bobby Henrey(4) face à Ralph Richardson (dans le premier de ses trois films dirigés par Reed) et, dans une moindre mesure, à la shakespearienne Sonia Dresdel et à Michèle Morgan, absente des écrans depuis le polar US The Chase sorti presque deux ans plus tôt.
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1. la fin a notamment été modifiée.
2. ainsi qu'adaptation préférée de Graham Greene.
3. qui s'ouvre avec la partie de cache-cache dans le noir puis la fuite, en pleine nuit, de Phil pieds nus et en pyjama.
4. natif du Calvados, fils d'écrivain britannique et qui ne récidivera qu'une seule fois au cinéma.

vendredi 28 septembre 2012

Brighton Rock (le gang des tueurs)


"... Wise men know well enough what monsters you make of them."

Grand succès lors de sa sortie, classé quinzième meilleur film britannique par le British Film Institute en 1999, Brighton Rock reste un solide polar, nerveux et sournois à souhait. Adapté de son roman paru en 1938 par Graham Greene associé à Terence Rattigan(1), ce deuxième des onze films réalisés par John Boulting(2) recèle en effet une aigreur qui contraste fortement avec la douce friandise évoquée par le titre(3). Le réalisateur y mettait à nouveau en vedette (après Journey Together) Richard Attenborough. Un rôle grâce auquel le jeune acteur se fit remarquer aux côtés d'une débutante, Carol Marsh choisie parmi deux mille postulantes, future partenaire de Christopher Lee dans le Dracula de Terence Fisher et qui retrouvera Hermione Baddeley dans le drame dickensien Scrooge.
 - film - 56667_11Le cadavre du chef de bande William Kite a été retrouvé dans une carrière abandonnée. Ses hommes reconnaissent peu après Fred Hale en illustration de l'article relatif au passage à Brighton de Kolley Kibber publié dans le "Daily Messenger". Un article du journaliste aurait, selon Dallow, provoqué l'exécution de Kite. Le successeur de ce dernier, 'Pinkie' Brown, Dallow et Cubitt trouvent Hale dans un bar, bien décidés à l'éliminer. N'ayant pas réussi à convaincre une inconnue de lui servir de protection sous le prétexte d'une invitation à déjeuner, Hale tente d'échapper à ses poursuivants. Il termine sa fuite sur l'un des piers où ceux-ci ne tardent pas à le retrouver. L'inattendue présence d'Ida Arnold, rencontrée précédemment au bar, lui offre un peu d'espoir. Mais laissé un instant seul dans un wagon du train-fantôme, il ne peut empêcher 'Pinkie' de prendre place à son côté et d'être projeté à la mer pendant le parcours. Quoique contrarié par ce meurtre, Spicer a distribué les cartes Kolley Kibber qui constituent un alibi en retardant l'heure apparente du décès. Inquiet par celle laissée au café "Snow", 'Pinkie' décide d'aller la récupérer. Il y fait la connaissance de Rose, une serveuse tout juste embauchée qui a vu Spicer puis trouvé ladite carte.
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Si le prologue surprend quelque peu le spectateur(4), la tonalité de l'immédiate suite le plonge presque aussitôt dans la noirceur et l'agitation du récit imaginé par Graham Greene . A l'image de cette implacable chasse à l'homme à travers le Brighton des années 1930 au cours de laquelle le malheureux Fred, dont l'implication dans le crime initial reste floue, cherche désespérément un hypothétique secours(5). Ou à celle de la visite nocturne pour tenter de prélever, avec violence, une périodique souscription. Sans prétendre être un véritable film-noir, Brighton Rock en possède plusieurs caractéristiques, en particulier d'adroites utilisation de l'espace urbain ou composition des images et des éclairages. La trame narrative manque néanmoins parfois de clarté, affichant aussi une volonté peut-être trop appuyée d'impressionner artificiellement le public. En post-adolescent (17 ans) sans vice apparent mais asocial, frénétique et brutal, révulsé à l'idée même d'amour, Richard Attenborough(6) se montre assez épatant(7). Il n'éclipse pourtant pas les prestations d'Hermione Baddeley, enquêtrice improvisée aux rires tonitruants, de la vulnérable Carol Marsh, d'Harcourt Williams (alias Prewitt, sans doute le personnage le plus intrigant de ce polar) ou d'un William Hartnell sous-exploité. A noter enfin, la nouvelle version réalisée en 2010 par Rowan Joffé avec Sam Riley, Andrea Riseborough et Helen Mirren.
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1. récompensé par le "Prix de scénario" (The Browning Version) à Cannes en 1951, nommé deux fois aux BAFTA et aux Academy Awards pour quatre scénarii différents.
2. réalisateur de Seven Days to Noon (candidat au "Lion d'or" 1950) avec l'un de ses deux frères jumeaux Roy, producteur de celui-ci pour l'adaptation de la pièce "Honeymoon Deferred" intitulée The Family Way et primé aux BAFTA 1960 du meilleur scénario pour la comédie I'm All Right Jack.
3. et par un des premières répliques d'Ida Arnold.
4. une concession faite au tourist office de la populaire station balnéaire ?
5. jusqu'à ce qu'il soit victime d'un étrange concours de circonstance avec pour seuls témoins une fillette apeurée et son grand-père... aveugle !
6. avec lequel John Boulting collaborera encore à cinq reprises jusqu'en 1959.
7. un rôle déjà tenu dans la pièce montée en 1944 au "Garrick Theatre" avec Dulcie Gray en Rose.