mercredi 15 février 2012

La Grande illusion


"Pour un homme du peuple, c'est terrible de mourir à la guerre. Pour vous... et moi, c'est une bonne solution."

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L'unanimité contemporaine ne sied pas aux véritables chefs-d'œuvre. La Grande illusion, qui en est assurément un, n'y eu fort heureusement pas droit. Interdit en Belgique par le ministre des affaires étrangères(1) Paul-Henri Spaak (le propre frère aîné du scénariste !), condamné par le Britannique Winston Churchill, il suscita en revanche la préconisation sans réserve(2) du président étasunien Roosevelt au terme d'une projection privée à la Maison Blanche le 11 novembre 1937. Lorsque débute le tournage du film en février de cette année, la bataille d'El Jarama (le "Verdun castillan") oppose avec férocité les républicains espagnols aux troupes nationalistes. Prélude au chaos dans lequel va sombrer l'Europe et vivace démonstration de la pertinence du titre choisi par Jean Renoir. Presque jamais prophète en son pays, le cinéaste futur exilé et son seizième long métrage ont surtout obtenu la reconnaissance de l'étranger, d'abord dans la pourtant mussolinienne Italie(3) puis de la part du National Board of Review et des 11e Academy Awards(4).
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Le Caudron du lieutenant Maréchal et du capitaine de Boëldieu est abattu, pendant une simple mission de reconnaissance, par le capitaine von Rauffenstein. Après avoir été invités à la table du déjeuner de celui-ci, les deux officiers sont emmenés vers le camps d'Hallbach où des soldats français et britanniques sont déjà retenus prisonniers. Ils y partagent la chambre du lieutenant Rosenthal, du volubile sergent Cartier, comédien dans la vie civile, d'un enseignant et d'un ingénieur du cadastre. Issu d'une très aisée famille de banquiers, Rosenthal réjouit ses camarades de réclusion en améliorant, grâce à ses périodiques colis, l'ordinaire de manière significative. Associé dans un projet d'évasion par creusement depuis deux mois d'un tunnel, le groupe est sur le point d'aboutir lorsqu'il est soudainement envoyé vers un autre camp. Après plusieurs transferts et tentatives de fuite, de Boëldieu et Maréchal retrouvent Rosenthal dans la prison-forteresse de Wintersborn commandée par von Rauffenstein.
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Réalisé entre le polar romantique Les Bas-fonds ("Prix Louis-Delluc" 1936) et le drame historique La Marseillaise, La Grande illusion reste indubitablement l'un des plus inoubliables récits en temps de guerre de l'histoire du cinéma(5). Un film qui ne peut évidemment pas être réduit à sa vertueuse ambition pacifiste. La bien plus large dimension profondément humaniste ne caractérise-t-elle l'ensemble de l'œuvre de Jean Renoir ? A travers la variété des sentiments développés dans le scénario, la sincérité et l'honnêteté qui les animent, Renoir atteint un point de convergence rare, donc remarquable, celui du réalisme épique. A la bienveillante (idéaliste et moribonde) complicité aristocratique répond, sans frontal antagonisme de classes(6) mais avec une inusitée justesse de ton, une inaltérable (utopique ?) solidarité roturière. Des qualités narratives incarnées avec brio par une formidable distribution emmenée par Pierre Fresnay(7) et Jean Gabin soutenus sans faille par Marcel Dalio, Erich von Stroheim(7) ou encore Julien Carette et Dita Parlo (L'Atalante) notamment. La Grande illusion : pas seulement un classique, un incontournable !
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1. pourtant membre de l'anti-militariste parti ouvrier dirigé Emile Vandervelde.
2. "Tous les démocrates du monde devraient voir ce film".
3. où le film était en compétition pour la vénitienne 4e "Coppa Mussolini", récompensé d'un moins "contrariant" prix de la "meilleure contribution artistique".
4. nommé, fait rarissime pour une production étrangère, dans la catégorie "meilleur film".
5. avec notamment le All Quiet on the Western Front de Lewis Milestone tiré du roman d'Erich Maria Remarque et le plus tardif Paths of Glory de Stanley Kubrick.
6. sauf, peut-être, comportemental (illustré, entre autres, par les bâillements successifs du capitaine et du lieutenant au début du métrage).
7. Renoir avait initialement souhaité voir son frère aîné Pierre interpréter von Rauffenstein et Louis Jouvet dans le rôle de Boëldieu. Mais les deux acteurs, accaparés par leurs activités théâtrales, déclinèrent l'offre.

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