vendredi 24 février 2012

Human Desire (désirs humains)


"That's why he's holding over me, that's why I can't leave him... That's why I lied to you. "

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Second film successif tourné par Fritz Lang pour Columbia, Human Desire reste l'une des productions secondaires de la période étasunienne du réalisateur. Est-ce parce qu'il se situe entre le "frappant" The Big Heat, dans lequel Glenn Ford et Gloria Grahame apparaissaient déjà en têtes d'affiche, et l'insolite (au cours cette étape de sa carrière) film d'aventure Moonfleet ? Ou plutôt en raison de la comparaison subie avec La Bête humaine, remarquable adaptation du roman de Zola par Jean Renoir, dont il s'inspire ? Sans doute l'effet cumulé de ces deux situations. Profondément remanié (édulcoré ?) par Alfred Hayes, scénariste de Clash by Night, le récit perd en intensité dramatique et psychologique sans significative compensation narrative.
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Démobilisé après plus de trois ans en Corée, Jeff Warren reprend son travail de machiniste aux côtés de son collègue et ami Alec Simmons. Ellen, la charmante fille de celui-ci, éprouve désormais des sentiments de femme à l'égard de Warren avec lequel elle a toujours eu une certaine complicité. Renvoyé pour s'être disputé avec son patron Thurston, l'adjoint au chef de dépôt Carl Buckley suggère avec insistance à sa jeune épouse Vicki de faire intervenir John Owens, une de ses vieilles connaissances et un important client de la compagnie ferroviaire. Le couple se rend le lendemain en ville où Vicki doit rencontrer Owens à son bureau. Chez Jean, une amie Vicki, l'attente impatiente de Buckley vire à l'inquiétude.
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Lorsqu'elle arrive enfin ayant obtenu la réintégration de son mari, elle se soustrait à l'étreinte reconnaissante et aux baisers de ce dernier. Vicki est alors soumise aux questions, contrainte d'expliquer sa longue absence et la poursuite de l'entretien avec Owens dans un bar. Une maladresse de Vicki confirme les craintes du mari jaloux. La révélation implicite de la contrepartie au service demandé et la possible poursuite d'une ancienne liaison poussent aussitôt Buckley à la violence. Il force sa femme à rédiger un billet destiné à Owens lui donnant rendez-vous dans le train de nuit pour Chicago dans lequel Warren voyage également. Une fois le convoi parti, les Buckley entrent dans le compartiment de l'homme d'affaires mortellement poignardé par Carl. Lequel maquille son meurtre en emportant la montre et l'argent de sa victime ; il récupère aussi le message compromettant pour Vicki. L'inattendue présence de Warren les empêche de retourner dans leur wagon.
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Fritz Lang aurait-il pris plus de plaisir à diriger les (parfois étonnamment longues !) séquences ferroviaires (réminiscence nostalgique de celles dans Die Spinnen et Spione) qu'à diriger les évolutions du trio adultèro-criminel sur lequel repose Human Desire ? C'est bien probable ! Le refus (argumenté) de Peter Lorre d'interpréter Jack Warren a également dû bouleverser certains des éléments essentiels du scénario et contribuer à la contrariété opérationnelle d'un réalisateur toujours très obstiné et exigeant. L'intérêt de l'intrigue du film n'atteint d'ailleurs pas celui suscité par The Woman in the Window ou Scarlet Street. A l'exception de Vicki* (ni vraiment jolie, ni totalement garce) tenu sans éclat par Gloria Grahame, la psychologie des personnages et les aspects sociaux demeurent, au moment où triomphait le On the Waterfront d'Elia Kazan, relativement superficiels. L'évidente maitrise formelle ne peut constituer l'unique argument pour emporter l'adhésion des véritables amateurs de Lang.
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* rôle initialement destiné à Rita Hayworth.

mardi 21 février 2012

Ramrod (femme de feu)


"... I want to see who is right."

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Absent des plateaux depuis le tournage, trois ans plus tôt, du film-noir Dark Waters, André De Toth se remet en selle en dirigeant le premier des onze westerns qu'il sera amené à réaliser. Pénultième film produit par l'ancien distributeur Harry Sherman à partir d'un récit de Luke Short (auteur notamment des romans à l'origine d'Albuquerque, de Station West ou de Blood on the Moon), Ramrod se révèle être un peu atypique dans le genre, fondé en particulier sur une intrigue ouvertement compulsive menée à la baguette (explication au second degré du titre original ?) par un personnage féminin. Habituée aux polars, Veronica Lake(1) transpose presque naturellement le modèle de la femme fatale dans l'unique western de sa carrière. Retrouvant, pour cette seconde occasion, Joel McCrea, son partenaire du Sullivan's Travels de Preston Sturges.
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Propriétaire d'un nouveau ranch où il compte élever des moutons, Walt Shipley, accompagnée de sa fiancée Connie Dickason et de Dave Nash, se rend en ville pour prendre la diligence. Mais il en est empêché par son rival Frank Ivey et, humilié, préfère quitter la région en abandonnant le "Circle 66" à Connie. Bien décidée à prendre son autonomie à l'égard de son père Ben qui souhaiterait la marier au riche Ivey, la séduisante et combattive jeune femme convainc Nash d'accepter le poste d'intendant. Celui-ci se charge d'engager son individualiste ami Bill Schell ainsi que trois autres recrues. Mais lorsqu'ils arrivent au ranch le lendemain, l'incendie allumé par les hommes dIvey en l'absence de Connie finissent de le consumer. Nash a l'idée de s'approprier, arme à la main, une maison où trois employés d'Ivey dont son contremaître Ed Burma étaient hébergés. Les représailles ne tardent pas : pour décourager la main-d'œuvre de Connie, Curley est rossé à mort par Virg.
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Western "à l'ancienne"(2), Ramrod surprend d'emblée par l'imprécision initiale des rôles et des enjeux. S'il est clair qu'une double rivalité oppose Shipley à Ivey, celui-là disparaît dès après l'entame en forme de long prologue, perturbant avec astuce dans un premier temps le spectateur. Comment alors croire que l'apparemment trivial (et veuf authentique) Nash, à la coriace réputation d'ivrogne, puisse s'imposer comme l'acteur principal et arbitre des événements ? En réalité, la presque totalité de cette gent masculine (aux postures assez classiques) est soumise aux visées manipulatoires de Connie(3), fausse innocente et véritable séductrice (corruptrice). La singularité narrative est d'ailleurs portée par les deux seuls personnages significatifs qui échappent, au moins provisoirement, à son influence : le shérif Jim Crew (interprété par le Britannique Donald Crisp, second rôle oscarisé de How Green Was My Valley), dangereusement poussé à sortir de sa légitime neutralité, et la couturière Rose Leland (Arleen Whelan - Young Mr. Lincoln), figure inversée de l'éleveuse sans scrupule. Efficace, parfois inspirée, la direction d'André De Toth dénoue fort bien ce scénario à rebondissements successifs signé notamment par C. Graham Baker et Jack Moffitt. Russell Harlan, avant qu'il n'accède à une plus grande notoriété grâce à The Big Sky, seconde en outre le réalisateur d'origine austro-hongroise et contribue à la particularité du film, notamment lors des séquences tournées au Zion National Park (Springdale, Utah). Intéressantes prestations, à noter enfin, de Don DeFore et Preston Foster.
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1. deuxième épouse de De Toth depuis fin 1944.
2. au sens élogieux de l'expression.
3. aux explicites racines sémantiques : duper, gouverner.