mercredi 1 décembre 2010

Sunrise (l'aurore)


"Wilt you love her?"

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Fabuleux, Sunrise l'est au moins à deux titres. Le premier film américain de Friedrich Wilhelm Murnau fascine, subjugue littéralement d'abord par ses folles ambition artistique et audace créatrice. En changeant de continent, le cinéaste Nord-rhénan-wesphalien n'a de toute évidence laissé derrière lui aucun des divers et singuliers aspects de son talent grâce auxquels Nosferatu, eine Symphonie des Grauens et Der Letzte Mann restent encore aujourd'hui des œuvres essentielles de l'histoire du cinéma. Murnau semble même avoir enrichi sa palette, sans doute en partie grâce aux moyens presque illimités mis à sa disposition par William Fox. Comment expliquer en effet l'incroyable puissance tragique dégagée par ce "banal drame amoureux triangulaire" inspiré et adapté par l'Autrichien Carl Mayer à partir du "Die Reise nach Tilsit"(1) signé par son compatriote Hermann Sudermann ?
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L'autre raison, étroitement liée à la précédente, de l'emploi du qualificatif initial tient au caractère intimement, étrangement bivalent (ambigu ?) du récit, entre réalisme-matérialisme fondateur et lyrisme fantastique où s'expriment à nouveau la vivacité, le tourment et la préséance de la pensée réflexive, cohérence distinctive des productions du réalisateur. Echec commercial lors de son lancement, concurrencé en particulier par l'apparition concomitante du parlant, récompensé néanmoins par trois trophées(2) lors de la toute première édition des Academy Awards, Sunrise est entré au National Film Registry (en compagnie d'Intolerance ou de The General notamment) dès la constitution de celui-ci en 1989 par le Preservation Board (Library of Congress).
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Restée dans la petite localité où elle a passé ses vacances, une femme de la ville a fait chavirer le cœur et l'esprit d'un jeune fermier. A la nuit tombée, sifflé par la séductrice, ce dernier délaisse son épouse et son jeune fils pour retrouver celle qui cause également la perte progressive de son patrimoine. Lorsque son amante lui propose de vivre à ses côtés dans la cité et, pour cela, de noyer sa femme en dissimulant le crime en accident, l'homme réagit d'abord violemment puis se résout à cette funeste idée. L'objectif réel de l'inattendue et romantique promenade en barque, brièvement perturbée par l'intrusion de leur chien, devient bientôt clair pour la proie du couple illégitime. Incapable de passer à l'acte, le mari rejoint avec fougue une rive, permettant la fuite de la victime épargnée.
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S'il n'égale pas le contemporain Metropolis de Fritz Lang dans mon panthéon cinématographique, Sunrise n'en est pourtant pas très éloigné. Bien que très différents, ces deux films partagent toutefois une dilection humaniste universelle assez proche ainsi qu'un identique soin créatif et stylistique (susceptible d'alimenter les copieux développements d'une thèse universitaire !). Le premier est, en toute relativité, futuriste, le second semble foncièrement intemporel, sorte d'insolite conte onirique, fantasmé et urbain (troisième acte) au cœur d'une intrigue morale. Sunrise nous étreint par son incroyable modernité, sa capacité à exprimer de manière si vibrante, résonnante les sentiments, les sensations et la confusion amoureuse de ses protagonistes. F.W. Murnau y brise également les préceptes du film muet, contribuant à l'édification collective d'un véritable pont entre la production antérieure et l'émergeant nouvel âge du Septième art. Délicate et sensible, Janet Gaynor illumine le récit aux côtés de George O'Brien, interprète principal des récents The Iron Horse et 3 Bad Men de John Ford(3) dans lesquels il avait déjà J. Farrell MacDonald comme partenaire.
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1. première des quatre histoires lithuaniennes dont le recueil fut publié en 1917.
2. Janet Gaynor (meilleure actrice), Charles Rosher et Karl Struss (meilleure photographie) et la Fox ("Best Picture, Unique and Artistic Production", distinction restée elle aussi unique dans les annales des "Oscars") sur quatre nominations qui incluaient Rochus Gliese pour les décors.
3. le cinéaste avait précédemment réuni Janet Gaynor, George O'Brien et Margaret Livingston dans The Blue Eagle.

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