jeudi 2 décembre 2010

City Girl (l'intruse)


"... And if you think he'll let me go away without him... guess again!"

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D'une certaine manière, Sunrise aura sans doute été le chant du cygne de F.W. Murnau. Malgré les quelques récompenses obtenues par le film, le cinéaste sait qu'il ne jouit plus de l'aura dont il bénéficiait jusque-là (influence néanmoins durablement reconnue par les cinéphiles du monde entier) et que le soutien de William Fox est désormais compté. Une rupture s'opère donc dans sa carrière, déjà visible dans les vestiges de l'introuvable 4 Devils. Fin août 1928, c'est à dire un mois avant la sortie de ce dernier à New York, Murnau s'attelle à l'adaptation de la pièce en trois actes "The Mud Turtle" d'Elliott Lester*. A l'ombre des chefs-d'œuvre du réalisateur, ce "classique" drame familial et sentimental, réunissant pour la seconde fois Mary Duncan et Charles Farrell, se révèle être une pure merveille de finesse et de sensibilité cinématographique.
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Dans le train qui l'emmène du Minnesota à Chicago, Lem Tustine relit les consignes de son père puis les affectueuses recommandations et encouragements de sa mère. Celui-là l'envoie pour la première fois vendre la prochaine récolte de blé à la bourse du commerce en lui fixant un prix plancher afin de préserver le fragile équilibre économique de leur exploitation. Absorbé par ses inquiétudes et la saveur du sandwich maternel, le jeune homme ne remarque même pas la galante qui tente de faire, par intérêt, sa connaissance. Au "Johnson's Place", le snack où il prend ses repas, Lem sympathise avec Kate la serveuse. C'est auprès d'elle qu'il évoque la moins-value, liée à la baisse des cours, dégagée par la transaction dont il avait la charge. Il s'interpose lorsqu'un client indélicat se montre trop pressant à l'égard de la jeune femme, dévoilant ainsi partiellement les sentiments qu'il lui voue. A la gare, il espère l'arrivée de Kate, conforté dans son intention par un ticket divinatoire issu d'une machine automatique. Celle-ci, lassée d'une existence urbaine sans relief, quitte finalement son poste pour le rejoindre. Les deux amoureux se croisent sans le savoir quand Lem se décide enfin à aller la chercher, quitte à rater son voyage de retour.
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Peut-être trivial dans son énoncé, le dernier film hollywoodien de F.W. Murnau ne l'est absolument à la fois dans sa relation et son traitement. City Girl joue d'ailleurs subtilement, tout au long du métrage, sur les contrastes ou les oppositions : campagne-ville, solitude-multitude, humour-mélancolie, rigidité-tendresse, autorité-soumission, menace-réconfort... et, bien sûr, désir-amour. Le spectateur doit, pour percevoir les éclats complexes et raffinés de ce joyau, être attentif aux détails de réalisation. Par exemple cet étrange travelling arrière qui relègue brutalement Lem au rang de simple participant au grouillement de la foule. Ou cette prodigieuse et euphorique allégresse dont s'imprègne la course dans le champ scellant le fugace bonheur du jeune couple. Le départ prématuré de Murnau et les modifications apportées au scénario et au tournage laissent planer un doute sur sa totale paternité de la version muette du film (la parlante étant aujourd'hui considérée comme perdue). Remarquable, la distribution, premier et seconds rôles confondus, contribue à la significative densité du drame qui se noue dans City Girl auquel Terrence Malick rend hommage dans son Days of Heaven.
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*montée en août 1925 au "Bijou Theatre" de Broadway, mise en scène Willard Mack avec Helen MacKellar et Buford Armitage dans les rôles principaux. Lester est aussi l'auteur de la pièce dont a été tiré Two Seconds de Mervyn LeRoy avec Edward G. Robinson.

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