lundi 1 novembre 2010

Lucky Star (l'isolé)


"For a special occasion."

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Changement significatif de décor, pas seulement ornemental, pour le premier des trois films de Frank Borzage produits en 1929 (avant le grand crash du même nom). En choisissant de porter à l'écran "Three Episodes in the Life of Timothy Osborn" de Tristram Tupper (paru dans "The Saturday Evening Post" en avril 1927), Frank Borzage et William Fox n'abandonnent pas pour autant le drame mais la dramaturgie urbaine au profit d'un romanesque rural. Loin de l'aristo-fantasmatique Queen Kelly d'Erich von Stroheim avec Gloria Swanson, sorti la même année(1), Lucky Star nous ramène à un intimisme épuré dans lequel le contexte social n'occupe, à nouveau, qu'un rôle subsidiaire. Il est, sans doute également, le plus authentique et réussi des mélodrames réunissant Janet Gaynor et Charles Farrell auxquels sont proposés des personnages bien plus composés, donc moins convenus.
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Parce qu'il l'a sévèrement corrigée pour avoir tenté de modestement escroquer son patron et ami Martin Wrenn, Mary, la fille aînée de la veuve Tucker, voue une persistante rancune envers son voisin Timothy Osborn. Appelé à combattre en France, celui-ci y perd l'usage de ses jambes lorsque, remplaçant Wrenn parti fleureter, un obus s'abat sur la charrette-citerne destinée à ravitailler le front. De retour chez lui, Tim s'occupe désormais à réparer des vieilleries. Sa gentillesse à l'égard de Mary, à laquelle il fait mine de faire croire que sa chaise roulante ne lui sert qu'à préserver ses jambes, lui gagne sa sympathie. La fermière de dix-sept ans le visite chaque jour, faisant auprès de lui l'apprentissage de l'hygiène et de la probité négligées jusque-là. L'obscure souillon mute peu à peu en une plaisante demoiselle apte à attirer l'attention du déloyal et entreprenant Wrenn.
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Traditionnellement sous-estimé dans son pays d'origine, Lucky Star joue évidemment sur un registre très différent de celui de The Big Parade de King Vidor et Irving Thalberg ("Medal of Honor" 1935, entré au National Film Registry en 1992). Le dernier film muet de Frank Borzage(2) reste néanmoins l'un des plus singuliers et attachants de cette période. Le cinéaste et son équipe ne s'y montrent-ils pas, en particulier, plus inspirés qu'à l'occasion de l'adaptation du roman d'Ernest Hemingway A Farewell to Arms ? Là où certains prétendent aveuglément ne voir que mièvrerie et invraisemblance, il faut au contraire y reconnaître de l'humanité et de la sincérité. Dans cette campagne de Nouvelle-Angleterre isolée, épurée, où le jeu des apparences ne saurait avoir cours sauf pour les dupe(ur)s, on se laisse volontiers prendre par cette jolie histoire d'apprivoisement, par cette (re)création tout à la fois opérative (opératique) et symbolique. C'est aussi la première fois que Borzage immisce une rivalité, par l'intermédiaire du robuste et westernien Guinn 'Big Boy' Williams(3), entre un Charles Farrell plus mature et convaincant et Janet Gaynor. Très belle photographie de Chester A. Lyons (chef-op. de The Circle, associé ici à William Cooper Smith).
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1. Frau im Mond de Lang, Die Büchse der Pandora et Tagebuch einer Verlorenen de Pabst ou The Cocoanuts des Marx Brothers étaient aussi notamment à l'affiche.
2. produit pour moitié avec dialogues et sonorisation selon certaines sources, en deux versions selon d'autres, conforme à la décision prise par William Fox le 24 mars 1929 (i.e. au milieu du tournage, 4 févr.-20 avril) de passer au parlant.
3. le Texan retrouvera le premier dans Liliom et City Girl, la seconde dans A Star Is Born.




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