vendredi 17 septembre 2010

El Secreto de sus ojos (dans ses yeux)

"Atrás, no es mi jurisdicción..."

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Après trois comédies romantiques, Juan José Campanella revient au drame. Pour son sixième long métrage de fiction et sa seconde adaptation(1), le cinéaste argentin(2) et la productrice espagnole Mariela Besuievski (à laquelle il était associé pour El Hijo de la novia nommé aux "Oscars" en 2002, promotrice d'El Aura de Fabián Bielinsky, tous deux déjà avec Ricardo Darin) ont porté leur dévolu sur "La Pregunta de sus ojos", le roman de l'écrivain également porteño Eduardo Sacheri paru en 2005. Un choix très judicieux. Enorme succès dans son pays d'origine(3), El Secreto de sus ojos obtenait en décembre 2009 treize récompenses (sur dix-sept nominations) décernées par l'Académie du cinéma en Argentine(4), fabuleuse moisson complétée peu après par l'"Oscar" du film en langue étrangère des 82e Academy Awards(5).
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A la retraite depuis peu, Benjamín Espósito tente sans beaucoup de succès de commencer un roman. Lors d'une visite rendue à Irene Menéndez Hastings, sa supérieure toujours en activité au sein du cabinet du juge Raimundo Fortuna Lacalle, il lui avoue son intention de s'inspirer de l'affaire Morales sur laquelle ils avaient collaboré vingt ans plus tôt. A titre de contribution symbolique, Irene lui offre la vieille machine à écrire, au "A" défaillant, qu'il utilisait à cette époque. Le 21 juin 1974, la 25e chambre était saisie, à la place de la 18e, du dossier Liliana Colotto. Le cadavre nu et ensanglanté de l'institutrice et jeune épouse de l'employé de banque Ricardo Morales, victime chez elle d'un viol suivi d'un homicide, venait d'être retrouvé. Espósito retrouvait l'inspecteur Báez sur le lieu du crime ; ils informaient et interrogeaient ensuite le veuf effondré. Peu après, le Bolivien Jacinto Cáceres et Juan Robles, deux maçons trentenaires qui travaillaient à proximité de l'appartement des Morales, étaient inculpés et incarcérés après des aveux.
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Espósito découvrait, en se rendant dans leur cellule, qu'ils avaient été sévèrement battus. Une violente altercation au tribunal l'opposait alors à son homologue Romano, responsable de leur arrestation, contre lequel il décidait de porter plainte et de demander la mutation. En parcourant un soir des albums de photos chez Morales, Espósito remarquait sur plusieurs clichés l'intérêt constant et insistant d'un ancien camarade pour Liliana au cours de son adolescence à Chivilcoy. La conviction qu'Isidoro Gómez pourrait bien être le meurtrier se formait dans l'esprit du fonctionnaire de justice, bientôt confortée par une conversation téléphonique avec la mère de l'individu puis sa soudaine disparition.
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Opus majeur de la carrière de Juan José Campanella, incontestable grand film pour le cinéma, El Secreto de sus ojos est aussi une bien jolie histoire d'amour dissimulée derrière un polar, lui aussi extrêmement plaisant par sa dissociation vis à vis de tout académisme du genre. La force du récit originel (dans lequel se croisent les couples souvenir-oubli, persistance-échec, bonheur-vide de l'existence, sacrifice-vengeance) se trouve ainsi sublimée par l'adaptation conjointe avec son auteur Eduardo Sacheri. S'exerçant, comme par affouillement, à travers un juste, concertant équilibre entre gravité, sensibilité et humour. Classique mais aboutie, la réalisation fait un emploi intelligent et constructif du plan-séquence et du flash-back, sans, fort heureusement, ostentation dans la reconstitution des années 1970 ni (peut-être hélas !) significative implication du contexte politique. Aux côtés du formidable Ricardo Darín, sans doute dans l'un de ses meilleurs rôles avec celui de Marcos dans Nueve reinas, et de la lumineuse Soledad Villamil (qu'il retrouvait après El Mismo amor, la misma lluvia), la qualité des prestations de Guillermo Francella, essentiel dans le personnage de Pablo Sandoval au prix du sacrifice de son "inséparable" moustache, et de Pablo Rago(6) doivent être soulignées. Mention spéciale enfin pour la belle partition, aux inspirations mozartiennes, d'Emilio Kauderer.
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1. la première était la co-production étasunienne Love Walked In en 1997.
2. réalisateur, dans l'intervalle, de quelques épisodes de séries US, Law & Order: Special Victims Unit et House M.D..
3. deuxième audience en salles argentines au cours de trente-cinq dernières années.
4. Academia de las artes y ciencias cinematograficas de la Argentina.
5. précédé par deux "Goya" (meilleurs actrice et film étranger en langue espagnole) et suivi par le "Grand prix du jury" (présidé par Olivier Marchal) du 2em Festival du film policier de Beaune.
6. dirigé par Campanella dans la série télévisée Vientos de agua... et qui apparaissait dans La Historia oficial, précédente production argentine titulaire d'un "Oscar" du film étranger.

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