Nord

"... On est plus défoncé que bourré avec ce truc."

Plus qu'original, le cinéma scandinave de ces dix dernières années est littéralement d'ailleurs. Dans cet ensemble, la Norvège, où la tradition filmique fut la plus tardive, n'est pas en reste, position confirmée par un succès croissant à l'étranger. Parmi la jeune génération de réalisateurs locaux, Bård Breien (Kunsten å tenke negativt) ou Bent Hamer (O'Horten, Salmer fra kjøkkenet), régulièrement invités et récompensés par des festivals internationaux, ne sont désormais plus des inconnus en dehors du pays d'Ibsen. Un duo auquel Jens Lien, auteur du surprenant Den Brysomme mannen, et Joachim Trier peuvent également être associés(1). Il semble qu'il faille aussi compter avec Rune Denstad Langlo. Car en matière d'étrangeté et de dépaysement, Nord, la première fiction de ce presque quadragénaire, ne manque pas d'arguments.

Après un séjour dans un hôpital psychiatrique qu'il aurait voulu prolonger, Jomar Henriksen a obtenu un emploi dans une société de remontées mécaniques du Trøndelag. Cet ancien skieur devenu un replet trentenaire, gagné par de chroniques épisodes d'épuisement, trouve dans l'alcool et le tabac le moyen d'apaiser son anxiété. Un soir, Jomar reçoit la visite inopportune de Lasse, toujours sportif et à présent ex-amant de l'ancienne copine de celui-là. Après s'être affrontés physiquement, Lasse suggère à Jomar de rencontrer le fils âgé de quatre ans que ce dernier a eu avec Linnéa. Lorsque Jomar met accidentellement le feu à son logement, il se résout à partir en scooter de neige vers le Nord, dans la vallée de Tamok où résident la jeune femme et son enfant. En route, aveuglé sans protection par le puissant soleil d'hiver, Jomar est accueilli et confiné à sa demande dans l'obscurité d'un réduit par Lotte, une adolescente solitaire, abandonnée par ses parents et élevée par sa grand-mère dans une maison isolée.

Sur le thème de l'itinérance, Nord (présenté dans la section "Panorama" à Berlin, distingué à Tribeca) marque d'emblée sa singularité tout en ne dérogeant pas au grand principe du road-movie : les étapes et les rencontres faites à ces occasions ont toujours plus d'importance que la destination. On peut, sans détour, qualifier de northern(2) la comédie mélancolique de Rune Denstad Langlo et de son co-scénariste Erlend Loe (auteur de Tatt av kvinnen, parodie de Gone with the Wind). Chemin faisant, l'apprenti-pyromane Jomar découvre ainsi des êtres plus isolés, plus fragilisés, plus inaptes à l'existence qu'il ne le croyait lui-même. Tourné en décors naturels avec des acteurs pour la plupart non-professionnels à l'exception de Kyrre Hellum et d'Anders Baasmo Christiansen (Buddy), qui réussit à susciter une réelle sympathie pour son personnage, Nord apporte, au milieu de productions formatées et/ou un peu vaines, ses indéniables fraîcheur et différence.

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1. une liste non exhaustive à laquelle on peut ajouter Aksel Hennie, Pål Sletaune, Patrik Syversen et Roar Uthaug œuvrant dans des genres assez différents.

2. version boréale du western, au sens originel du terme, dans lequel la migration signifie à la fois une (con)quête extrême et une volonté de changer d'existence.