dimanche 11 avril 2010

The Savage Eye (l’œil sauvage)


"As you forgive yourself?"

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La bizarrerie du cinéma étasunien veut que cet étrange œuvre collective sorte dans quelques salles new-yorkaises deux mois seulement après le triomphe de la superproduction Metro-Goldwyn-Mayer Ben-Hur à la 32e cérémonie des Academy Awards (onze statuettes sur douze nominations). Film unique d'un trio constitué de Ben Maddow (scénariste notamment de The Asphalt Jungle), de Sidney Meyers (monteur de Edge of the City et réalisateur, douze ans auparavant, de The Quiet One déjà avec Gary Merrill) et de Joseph Strick, collaborateur d'Irving Lerner un temps associé au projet, The Savage Eye s'inscrit d'évidence dans la tradition du documentaire dramatisé en y instillant une singularité manifeste. Il reçut l'un des "Flaherty Documentary Awards"(1) remis pour la première fois aux BAFTA en 1960.
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Une femme débarque d'un avion de ligne. A la différence des autres passagers, personne ne l'attend à l'aéroport. Presque aussitôt, celle qui se présente comme Judith Ex., divorcée de Fred McGuire après neuf ans et soixante-quatre jours de mariage, est interpellée et entre en dialogue avec la voix de son prétendu ange (double ou conscience...). Seule dans cette ville de la côte Ouest qui ressemble fort à Los Angeles, Judith doit tenter de débuter une nouvelle existence avec le souvenir douloureux, les hypothétiques certitudes et les fragilités occasionnées par la précédente. Comment occuper ces jours, ces mois, apparemment indifférente à l'environnement et aux gens qui l'entourent ? Faut-il espérer l'improbable retour à la raison d'un époux touché par la fièvre adultère ? Ou croire aux vertus d'une illusoire métamorphose aspectuelle à défaut de réelle renaissance ?
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Proche dans la forme du Little Fugitive d'un autre trio de cinéastes, Ray AshleyMorris Engel-Ruth Orkin, The Savage Eye opte cependant pour une tonalité nettement (métaphysico-)dramatique et une démarche plus expérimentale. Un très intéressant va-et-vient symbolique s'amorce entre le personnage de Judith, interprété par la comédienne Barbara Baxley(2), et cette société américaine de la fin des années 1950, toutes deux enivrées par la modernité mais aussi angoissées par cette prégnante solitude. L'image de la femme, la fonction de la catharsis collective, souvent un peu morbide, et de la peine physique et morale y sont en particulier brossées avec un réalisme assez remarquable. L'expression déclamatoire, emphatique des dialogues, qui évoque un peu celle du contemporain Hiroshima mon amour de Resnais, ainsi que de la partition musicale signée par Leonard Rosenman (ami de James Dean, auteur de la bande originale d'East of Eden et futur titulaire de deux "Oscars" consécutifs) a, de prime abord, tendance à déconcerter un peu le spectateur. Elle contribue pourtant à créer avec celui-ci une nécessaire et opportune distanciation. Difficile en revanche de réussir à distinguer les photographies d'Haskell Wexler, chef-op. de Mike Nichols, Norman Jewison ou Milos Forman entre autres, de celle de Jack Couffer (Jonathan Livingston Seagull). Joseph Strick (auquel on devra l'adaptation d'Ulysses) collaborera à nouveau avec Ben Maddow pour The Balcony tirée de la pièce de Jean Genet.
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1. récompenses baptisée à partir du nom du réalisateur de Nanook of the North.
2. élève d'Elia Kazan au sein de l'Actors Studio aperçue dans East of Eden mais surtout actrice-pigiste de séries télévisées (en particulier Alfred Hitchcock Presents). Elle tiendra plus de vingt ans plus tard un second rôle dans Sea of Love.

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