dimanche 21 mars 2010

Les Dimanches de Ville d'Avray


"Voilà, nous sommes chez nous, on est entré dans le cercle."

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Sept films en seulement dix ans de carrière, la trajectoire du réalisateur Serge Bourguignon s'apparente assez à celle d'une météore. De la traînée lumineuse produite, ce Dimanches de Ville d'Avray, financé par le Letton Romain Pinès (collaborateur de Georg Wilhelm Pabst), brille d'un éclat tout particulier. Inspiré du roman éponyme de Bernard Eschassériaux(1) publié neuf ans après la sortie de ce premier long métrage, ce drame à forte connotation psychologique se démarque sensiblement des œuvres de la "Nouvelle vague" (Jules et Jim, Vivre sa vie, La Boulangère de Monceau) contemporaines. Il a obtenu l'"Oscar du meilleur film étranger"(2) lors de la 35e cérémonie des Academy Awards.
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Pilote de chasse abattu lors d'une attaque en Indochine et grièvement blessé, Pierre a depuis perdu la mémoire. Une nuit d'hiver, alors qu'il attend sa compagne Madeleine sur le quai de la gare, le trentenaire est abordé par un individu, accompagné d'une fillette, à la recherche du pensionnat Ste-Marguerite. Peiné par les pleurs de l'enfant, dont le visage lui semble familier, car elle voudrait rester avec son père ou au moins retourner chez sa grand-mère, Pierre lui offre une des jolies pierres qu'il a dans la poche, proposition que l'homme incite sa fille à refuser. Sous l'effet d'une étrange impulsion, il les suit jusqu'à l'institution où Françoise est confiée à une religieuse. Dans sa précipitation, l'homme a oublié de laisser un cartable qu'il abandonne lorsqu'il aperçoit Pierre avant de s'enfuir. La lecture d'une lettre trouvée à l'intérieur démoralise profondément celui-ci, provoquant l'inquiétude de Madeleine. Le dimanche suivant, jour de garde de cette dernière à l'hôpital qui l'emploie, Pierre profite d'une livraison au pensionnat et, prétextant être envoyé pas le père de Françoise, passe la journée avec elle. Heureux, Pierre pénètre dans l'univers de la fillette de douze ans très reconnaissante à son égard et lui promet de la revoir la semaine suivante.
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Près d'un demi-siècle après son tournage (janvier-mars 1962), Les Dimanches de Ville d'Avray n'a rien perdu de son charme un peu envoûtant. Il crée aussi, implicitement, un trouble, celui né du constat des profonds changements connus par notre société au cours de cette période. Nous ne pouvons en effet plus regarder cet adulte s'isoler, caresser, enlacer et embrasser cette étrangère adolescente de la même manière que le spectateur de l'époque. Très dissemblable du Lolita de Kubrick sorti la même année, le film de Serge Bourguignon réunit avec subtilité un homme meurtri, jusque-là obsédé par son passé, opérant une curative mais dangereuse régression et une jeune fille à la recherche de son identité(3). Le scénario met notamment bien en évidence la fragilité de cet improbable couple, réfugié dans un monde essentiellement fantasmé, devenue patente lorsque l'imaginaire (l'invention) dicte à Pierre un comportement perçu comme irrationnel. Hardy Krüger, récent partenaire de John Wayne dans Hatari!, apporte une évidente preuve de la richesse de son talent aux côtés d'une étonnante et prometteuse Patricia Gozzi(4) ainsi que des seconds rôles Nicole Courcel et Daniel Ivernel dont les prestations, comme la photographie d'Henri Decaë(5), constituent des atouts indiscutables.
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1. fils du dramaturge Jacques Deval et demi-frère de l'écrivain Gérard de Villiers.
2. un prix semblable lui a été décerné l'année suivante par la critique japonaise.
3. dans la mythologie phrygienne (Françoise fait référence à la grecque), Cybèle, enfant abandonnée sur une montagne, est élevée par des lions ou des léopards.
4. la jeune actrice interrompra pourtant sa carrière peu après.
5. avec lequel Serge Bourguignon avait travaillé sur Les Enfants terribles de Jean-Pierre Melville dont il était l'assistant.



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