mercredi 3 février 2010

Il Ferroviere (le disque rouge)


"Da uomo a uomo."

Il Ferroviere occupe une place particulière dans la carrière de Pietro Germi. Géométrique d'abord, puisqu'il est le neuvième des dix-huit films du réalisateur, son centre de "gravité" en quelque sorte. Ensuite parce qu'il marque le retour du cinéaste aux affaires, après trois ans de quasi inactivité(1) par défaut de sujet motivant, sous le patronage de Carlo Ponti qui avait produit, presque dix ans plus tôt, son deuxième film Gioventù perduta. Enfin, car il constitue la première des six collaborations avec le scénariste romain Alfredo Giannetti, surtout associé jusque-là au versatile Luigi Capuano(2). Profondément captivé par l'histoire imaginée par son cadet, l'ancien marin se laisse convaincre d'interpréter l'un des trois rôles centraux (Germi avait précédemment fait l'acteur chez Arturo Gemmiti et Mario Soldati) aux côtés d'un étonnant jeune garçon âgé de sept ans, Edoardo Nevola.
Sandro court à la rencontre de son père Andrea Marcocci, machiniste d'un train sur le point d'entrer en gare. En cette nuit de Noël, celui-ci invite son équipier Gigi Liverani, vieux célibataire, à dîner chez lui. En route, les deux hommes laissent Sandrino rentrer seul, s'arrêtant chez Ugo pour boire quelques verres de vin et chanter des chansons. Son épouse Sara, son premier fils Marcello, sa fille Giulia sur le point d'accoucher et le mari de cette dernière, Renato Borghi, en sont réduits à attendre. De retour chez lui après la fermeture du bistro, Andrea trouve le domicile vide. Giulia, emmenée en urgence chez elle, a perdu son bébé. Sandrino se souvient alors de la colère de son père lorsqu'il avait apprit la gestation inattendue de la jeune femme et des noces consécutives célébrées avec le fils et commis de l'épicier du quartier. Andrea, affecté aux trains de nuit et déjà perturbé par sa responsabilité dans la mort de l'enfant, ne peut un matin éviter de percuter un individu suicidaire debout sur la voie. Puis il ne voit pas un feu rouge, réussissant in extremis à arrêter son convoi avant qu'il ne télescope un train lui faisant face.
"Que vole dire 'crumiro'?" Drame familial plus que social, chronique douce-amère (au cours d'une année pleine) de l'apprentissage d'un gamin dont il est partiellement le narrateur, Il Ferroviere, candidat à la "Palme d'or" 1956, est une fiction formidable d'intelligence, d'émotion sincère et discrète. Le destin paraît évidemment s'acharner sur les Marcocci, rompant l'un après l'autre des liens filiaux déjà fragilisés par un mutisme pour ainsi dire sacralisé. Mais le véritable et progressif effondrement auquel nous assistons, sans misérabilisme, moralisme ni vaine complaisance bien au contraire, donne au récit une intensité tragique tout à fait saisissante, surtout lorsque l'on s'interroge sur le rôle des parents. Car si la figure du père, remarquablement interprétée par Pietro Germi(3), semble dominer, elle est néanmoins finement modérée par le jeu tout en subtilité de Luisa Della Noce (que l'on retrouvera, comme plusieurs des autres acteurs tous très bons, dans L'Uomo di paglia). Très belle prestation de la presque débutante Sylva Koscina. Que dire enfin d'Edoardo Nevola ? Qu'il est au moins aussi convaincant qu'Enzo Staiola, le jeune Bruno Ricci du mémorable Ladri di biciclette. De vous à moi, et pour conclure, Il Ferroviere est d'ailleurs de la trempe du chef-d'œuvre de Vittorio De Sica.
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1. il avait en effet tourné en 1953 l'un des cinq segments d'Amori di mezzo secolo.
2. à ne pas confondre, à la finale près, avec l'écrivain sicilien dont Germi avait, après Ferdinando Maria Poggioli, porté à l'écran le "Il Marchese di Roccaverdina" (Gelosia) mais également à l'origine du I Girovaghi co-adapté la même année par Luciano Vincenzoni !
3. doublé par Gualtiero De Angelis, la voix italienne de James Stewart.




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