vendredi 25 décembre 2009

(Maruhi) jorô seme jigoku (osen la maudite)


"Le cœur des femmes est imprévisible et terrifiant."

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Pour le cinéphile français traditionnel, le cinéma érotique japonais se résume souvent, malgré les efforts louables de certains promoteurs du genre, au fameux diptyque de Nagisa Oshima, Ai no corrida-Ai no borei, produits il est vrai par le national et éclectique Anatole Dauman(1). C'est oublier un peu vite l'histoire et la diversité du Pinku eiga dans un pays pourtant caractérisé par sa très officielle (sacro-sainte !) pudibonderie. Avant même que le Septième art occidental ne se dévergonde avec retenu, Kô Nakahira surprenait le public nippon par la crudité de certaines scènes de Kurutta kajitsu. L'hermétique "couvercle" censorial n'empêchait cependant pas non plus la réalisation et la diffusion clandestine de films amateurs dont s'est inspiré Shohei Imamura pour son Jinruigaku nyûmon en 1966.
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Le Pinku eiga apparaît(2) au moment où naît et se développe à l'Ouest le mouvement sexploitation(3). Après quelques escarmouches avec le studio concurrent Shochiku, la doyenne Nikkatsu lance(4) au début des années 1970 le Roman poruno (i.e. éro-romantique soft, autrement dit du pinku eiga bien doté). Danchizuma hirusagari no joji de Shôgorô Nishimura connaît d'emblée un énorme succès. Parmi les principaux réalisateurs invités à exprimer leur talent dans ce cadre singulier, tels Tatsumi Kumashiro ou Masaru Konuma, Noboru Tanaka est sans doute, aujourd'hui encore, le plus réputé. Ancien assistant de Shohei Imamura et de Seijun Suzuki, il tourne en 1973 Jorô seme jigoku, moins connu en France que deux de ses films suivants, Shikijô mesu ichiba et surtout Jitsuroku Abe Sada(5).
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Ancienne grande courtisane du célèbre quartier de Yoshiwara (Edo), Osen tente à présent de monnayer ses charmes dans une infâme ruelle. Le décès successif de trois de ses clients explique cette déchéance, le surnom dont elle est désormais affublée et son insuccès. Exploitée par Tomizo dont elle ne croit plus les promesses, la galante, lorsqu'elle ne se bat pas avec sa voisine Oyone, tire cependant fierté d'être le modèle préféré d'un riche auteur d'estampes. Sur le chemin qui la ramène de sa séance de pose, Osen est enlevée par quatre coquins à la solde de l'artiste, avec la complicité intéressée de Tomizo. Au terme d'une brève étreinte qui semble sceller définitivement la rupture entre le souteneur et son fond de commerce, elle retourne chez elle. Mais avant d'y parvenir, elle s'arrête sur la place des condamnés où un couple, ayant raté son double-suicide, est exposé. Une remarque et un rire qu'elle laisse échapper interpellent Seikichi, un jeune apprenti-marionnettiste.
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Les films de Noboru Tanaka, comparés à ceux de la plupart de ses collègues du Pinku eiga, sont caractérisés par un véritable contenu dramatique, souvent judicieusement altéré par des tonalités comiques ou fantastiques, et par un réel raffinement dans la mise en scène. Jorô seme jigoku en est un parfait exemple. Signé par Yôzô Tanaka, adaptateur de Hana to hebi et scénariste de Ikenie fujin, le récit développe, avec un délice évident, les thèmes de la manipulation et de la fatalité au milieu desquelles la relation charnelle ne participe qu'à titre de simple mais précieux argument. Plus intéressant que les productions contemporaines de Walerian Borowczyk (et, a fortiori, de Just Jaeckin), ce film de Tanaka assume donc sans honte un éventuel jumelage avec Utamaro o meguru gonin no onna de Mizoguchi et Hana no Yoshiwara hyaku-nin giri d'Uchida.
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2. en 1962 avec le précurseur et indépendant Nikutai no Ichiba de Satoru Kobayashi suivi par le plus ambitieux Hakujitsumu de Tetsuji Takechi et les productions de Koji Wakamatsu après son départ de la Nikkatsu.
3. lancé notamment par Russ Meyer aux Etats-Unis et représenté par Tinto Brass en Italie, par Jesús Franco en Espagne et par Jean Rollin en France.
4. simultanément aux productions érotico-violentes de la Toei.
5. fondé sur l'histoire authentique dont s'inspirera ensuite Ai no corrida cité précédemment.

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