jeudi 1 octobre 2009

The Serpent's Egg (l'œuf du serpent)


"The only real thing is fear."

 - film - 8881_5
Exilé à Munich depuis 1976 en raison de démêlés avec l'administration fiscale suédoise, Ingmar Bergman y tourne, au cours du dernier trimestre de cette année, son premier film (majoritairement) en anglais(1). Produit par Dino de Laurentiis, rencontré cinq ans plus tôt à Los Angeles et partenaire du précédent Ansikte mot ansikte, The Serpent's Egg repose à nouveau sur un scénario original, mais situé cette fois au cœur d'une période dramatico-historique spécifique, celle de la République de Weimar, premier intermède démocratique en Allemagne entre empire monarchique et dictatorial. Il offrait également à David Carradine, révélé par une populaire série télévisée et son interprétation du chanteur folk Woody Guthrie dans le récent Bound for Glory, l'un des rôles(2) les plus marquants (de la première partie) de sa carrière.
 - film - 8881_8
Berlin, soirée du samedi 3 novembre 1923. En rentrant dans la chambre partagée avec son frère Max, Abel Rosenberg découvre le cadavre suicidé de ce dernier. Ce duo de trapézistes philadelphiens originaires de Lettonie était arrivé dans la capitale allemande un mois plus tôt à la suite de la blessure au poignet du défunt. Après avoir déclaré le décès auprès du commissaire Bauer, Abel retrouve dans le cabaret qui l'emploie Manuela, l'épouse divorcée de Max, pour lui annoncer la funeste nouvelle. Il croise dans les coulisses Hans Vergerus, un voisin d'Amalfi lorsqu'ils étaient enfant. Témoin du passage à tabac d'un individu dans la rue devant des policiers, Abel se réfugie dans un bar avant d'être recueilli ivre mort par Manuela à la porte de la pension où elle réside. Au matin, alors que celle-ci rejoint la mystérieuse entreprise où elle a obtenu un travail d'appoint, Abel retourne chez lui pour récupérer ses affaires, attendu par le commissaire Bauer. Le policier l'emmène à la morgue identifier quatre corps, parmi lesquels la fiancée de Max, qui allonge la liste de morts inexpliquées enregistrées depuis un mois.
 - film - 8881_10
Même s'il pourrait aisément laisser croire le contraire, The Serpent's Egg est avant tout un drame humain et psychologique plutôt qu'une véritable œuvre historico-politique. Il n'est cependant pas anodin qu'Ingmar Bergman ait fait débuter son histoire quelques jours avant la tentative de putsch (dit 'de la Brasserie') en Bavière fomentée par le futur chancelier et führer du Troisième Reich. Ou choisi un titre, évoqué par Vergerus à la toute fin du script, qui semble étroitement inspiré par le "Jules César" de William Shakespeare(3). Le film semble stigmatiser l'aveuglement et les turpitudes de la démocratie (présentée métaphoriquement au choix comme un ivrogne, un impuissant, un lâche, un miséreux... ou les quatre à la fois !), couveuse de la plus redoutable des abjections. Le contexte, évidemment déterminant, apparaît néanmoins ici comme la caisse de résonance ou l'expression sociale d'une somme de malaises et déséquilibres. Permettant ainsi aux personnages (surtout principaux) et à la discrète intrigue criminelle, au centre de laquelle se tient un faux prophète aux travaux assez proches de ceux du maléfique Josef Mengele, de s'étoffer. La peur et la claustration restent pourtant presque toujours en deçà de la charge potentielle recelée par le récit. Plus sombre mais aussi moins séduisant que Cabaret de Bob Fosse, moins envoûtant que Mephisto du Hongrois István Szabó, The Serpent's Egg s'apparente davantage au La Caduta degli Dei de Visconti. Intéressante prestation de David Carradine face à la toujours saisissante Liv Ullmann dans son dixième et antépénultième rôle bergmanien.
___
2. refusé par Dustin Hoffman, premier choix de Bergman.
3. "Et, en conséquence, regardons-le comme l'embryon d'un serpent qui, à peine éclos, deviendrait malfaisant par nature, et tuons-le dans l'œuf." Fin de la tirade de Marcus Brutus, prononcé pendant la brève sortie de son serviteur Lucius au début de la scène 1 de l'acte II.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire