lundi 7 avril 2008

Erosu purasu Gyakusatsu (eros + massacre)


"L'amour ? La révolution ?"

 - film - 50363_5
Considéré par Yoshishige Yoshida lui-même comme son film le plus ambitieux, Erosu purasu Gyakusatsu surprend et subjugue à la fois par ses audaces narratives et par ses qualités esthétiques. Librement inspirée par l'assassinat de l'anarchiste Sakae Osugi, de sa compagne féministe Noe Ito ainsi que du neveu âgé de six ans du premier par le lieutenant Masahiko Amakasu(1), cette nouvelle production indépendante se situe en effet à la charnière de l'histoire, de la philosophie politique et de l'art plastique. Co-écrit par Masahiro Yamada avec lequel Yoshida a déjà travaillé à deux reprises, le scénario se plaît également à croiser les époques et des destins avant tout de femmes.
 - film - 50363_11
Eiko Sokutai, jeune étudiante à la faculté de design de Tokyo spécialisée dans l'esthétique de l'information, interroge Mako, âgée alors de sept ans lors du meurtre de sa mère Noe Itô intervenu peu après le grand tremblement de terre de 1923(2). Epouse de Jun Tsuji, la jeune rédactrice en chef de la revue "Seitô" et militante de l'émancipation de la femme était devenue en 1916 la seconde maîtresse de l'anarchiste Sakae Osugi, marié à Yasuko Hori et amant de la brillante angliciste et journaliste au "Tônichi" Itsuko Masaoka. Cinquante-trois ans plus tard, Eiko, soupçonnée de se livrer à la prostitution, et son ami Wada s'interrogent sur la signification des théories libertaires d'Osugi.
 - film - 50363_15
En intitulant son ouvrage consacré à Noe Ito "Bi wa rantyo ni ari" (litt. la beauté est dans la confusion), l'auteure Jakucho Setochi traduisait bien, dès 1966, le contexte dans lequel se noue le drame en question mais aussi l'esprit du film qui le relate. La mutation, l'effervescence et finalement le désordre caractérisant la brève ère Taisho trouvent un pertinent écho dans la révolte et les antagonismes que connaît le Japon à la fin des années 1960. Un rapprochement opéré, avec un savant mélange antonionien de classicisme et d'avant-gardisme, par Erosu purasu Gyakusatsu autour de la libération des mœurs, en particulier des relations conjugales et sexuelles, et de la femme sur fond d'amour et de mort(3). La philosophie de Max Stirner, élève de G.W.F. Hegel, violemment critiquée par Karl Marx, notamment son analyse des différentes formes de soumission de l'individu, influence de manière explicite le scénario. Y cohabitent une subversion passive ou inactive, tantôt nostalgique (symbolisée par Jun Tsuji) ou prétendument révolutionnaire (Sakae Osugi), alternative dans laquelle Wada sert de médiateur. Mais aussi et surtout des personnages finement contrastés de femmes. L'approche initiale de documentaire place également le spectateur, à l'intérieur et en dehors du récit, dans une étrange situation de déséquilibre, impression renforcée par la splendide photographie, elle aussi très tranchée, parfois presque éthérée de Motokichi Hasegawa.
___
1. personnage interprété par Ryuichi Sakamoto dans The Last Emperor de Bernardo Bertolucci.
2. au milieu des ruines duquel Kurosawa enfant suivait son frère aîné.
3. célèbre dialectique éros et thanatos, ce dernier résultant selon Hésiope d'une primordiale immaculée conception, dont s'inspire manifestement le titre.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire