mardi 11 mars 2008

Maria no Oyuki (oyuki la vierge)


"... Que serait-il arrivé ?"

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La plupart d'entre nous se souviennent de la composition de Micheline Presle dans le rôle-titre du Boule de suif de Christian-Jaque en 1945. Venant juste après Pyshka, version muette et première réalisation du Russe Mikhaïl Romm (Obyknovennyy fashizm), Maria no Oyuki, également adapté de la populaire nouvelle écrite par Guy de Maupassant* en 1879, précède de dix ans la production française de l'immédiat après-guerre. Se reconnaissant sans doute dans la force réaliste, la dimension fantastique et le pessimisme de l'œuvre de l'auteur normand, Kenji Mizoguchi y trouve assez naturellement le matériau idoine à la critique sociale à laquelle il se livre au moins depuis Furusato no uta qu'évoque parfois ce premier film parlant et indépendant du cinéaste.
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L'approche des combats opposant les troupes gouvernementales aux rebelles poussent quelques habitants à vouloir quitter leur village. Malgré la réquisition des moyens de transport par l'armée, une diligence est bientôt trouvée où prennent place huit individus très différents. Cocher de l'attelage, Gisuke emmène avec lui deux couples, l'un de notables, l'autre de commerçants, une jeune fille, Ochie, et son père et les prostituées Oyuki et Okin, tout juste tolérées par les autres passagers auxquels un prêtre se joint en chemin. Au matin, la rupture d'un essieu oblige les voyageurs à une halte forcée à proximité d'un moulin. Dans la précipitation du départ, seules Oyuki et Okin ont pensé à emporter de la nourriture. A jeun depuis trop longtemps, Ochie est prise d'un malaise pendant que Gisuke se contente de racines suspendues sous un auvent. De son côté, l'austère vieille femme riche tente en vain de convaincre Okin de lui vendre son repas ; Oyuki offre spontanément le sien au groupe et sauve ainsi Ochie. Au même moment, Sadohara, un espion du groupe rebelle Kumamoto, est capturé par les hommes du commandant Asakura, conduit au camp où sont déjà retenus les villageois en fuite puis exécuté.
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De même que l'adaptation signée en 1945 par Henri Jeanson, Louis d'Hée et Christian-Jaque fera étroitement référence à la Seconde Guerre mondiale, en particulier à la notion de patrie retrouvée et à la Résistance, le scénario de Matsutarô Kawaguchi et Tatsunosuke Takashima évoque symboliquement son époque, marquée par la nette dérive nationaliste et martiale du Japon depuis l'entrée en 1926 dans le bien mal dénommé Showa-jidai (ère de la paix éclairée)**. Un audacieux et (im)pertinent parallèle entre militaire et prostituée n'y est-il pas d'ailleurs opéré ? Mais Maria no Oyuki***, comme en témoigne son titre, possède également une inédite dimension mystique, au sens évangélique du terme. A travers les tensions créées par un contexte de crise à l'intérieur d'un modèle réduit de la société civile, l'un des atouts décisifs de l'œuvre littéraire originale, le cinéaste nous interroge sur la fragilité de la communauté, sur la relativité de la charité et du sacrifice ou sur les complexes dualités honneur-humiliation et humanité-animalité. Le sens aigu de l'observation sociale dont fait habituellement preuve Kenji Mizoguchi, le modernisme de sa narration sont ici cependant tempérés par une stylisation romanesque et allégorique qui accentuent la portée métaphorique du film. S'il subsiste au plan de la réalisation quelques traces du muet (sensible surtout au niveau du rythme), Mizoguchi semble enfin avoir géré sans dommages ni difficultés majeurs (à l'exception du bruitage) la passage au cinéma parlant.
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*qui a aussi inspiré, sans pour autant être crédité, le Shanghai Express de Josef von Sternberg avec Marlene Dietrich ou le célèbre classique de John Ford, Stagecoach avec Claire Trevor.
**rappelons que l'empire d'Hirohito a déjà successivement envahit la Mandchourie (1931), quitté la SDN (1933), et occupé la Chine du Nord (1934).
***la dernière partie est illustrée musicalement par le célèbre "Ave Maria" (op. 52.6) de Franz Schubert.

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