lundi 3 décembre 2007

Suna no onna (la femme des sables)


"On ne résiste pas à la nature."

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Adapté du roman éponyme de Kobo Abe paru en 1962 et produit avec un budget dérisoire, Suna no onna n'est pas seulement le chef-d'œuvre de la courte filmographie d'Hiroshi Teshigahara mais aussi l'un des films les plus remarquables, insolites et déroutants de la seconde moitié du XXe siècle. Des qualités qui ne l'empêchent pourtant pas d'être habituellement omis lorsqu'il est question du cinéma japonais des années 1960, souvent au profit des réalisations contemporaines de Shohei Imamura, de Nagisa Oshima ou de Yoshishige Yoshida. "Prix spécial du jury" (présidé par Fritz Lang) au Festival de Cannes 1964, Suna no onna fut successivement sélectionné aux Academy Awards dans les catégories "meilleur film étranger" (1965) et "meilleur réalisateur (1966).
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En congé pour trois jours, un instituteur collectionneur d'insectes de sable erre dans des dunes du littoral pour trouver quelques spécimens rares. Une sieste lui vaut de rater le dernier autobus pour la ville. Des villageois lui proposent de passer la nuit chez l'habitant et l'accompagnent jusqu'à une maisonnette encaissée au fond d'une fosse sablonneuse. Une femme, ayant perdu son époux et sa fille un an plus tôt, l'y accueille, lui sert à dîner puis prépare sa couche. Pendant la nuit, celle-ci emplit de sable humide des récipients montés à l'aide d'un filin par trois hommes. Le lendemain matin, l'instituteur s'apprête à retourner à son loisir entomologique mais l'échelle qui lui a permit de descendre a disparu. Toutes ses tentatives pour remonter le long des friables parois échouent. Il réveille son hôtesse, allongée nue au milieu de la seule pièce de la rudimentaire construction en bois, n'obtenant aucune réponse à ses demandes d'aide ou d'explication.
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Métaphore philosophique, quasi sisyphienne, de l'absurdité de l'existence ? Allégorie politique de l'aliénation par le travail ? Ou (simple) fiction énigmatique, claustrophobe et déroutante ? Suna no onna est probablement un peu de tout cela à la fois. Il y a dans cette tragédie, naturaliste et fantastique, d'une réclusion primitive une poétique qui rappelle un peu The Wind, le film muet produit aux Etats-Unis, adaptation du roman de Dorothy Scarborough, du réalisateur Suédois Victor Sjöström. Notamment par cette réelle capacité à mettre en contrepoint l'évolution mentale et les sentiments des personnages* avec le cadre naturel. Il est aussi une sorte de revers abstrait, atonal et "minéral" au mutique et aquatique Hadaka no shima de Kaneto Shindô, sorti trois ans plus tôt. L'implication des deux interprètes principaux Eiji Okada, acteur de Mikio Naruse et du Hiroshima mon amour d'Alain Resnais notamment, et Kyôko Kishida, vue chez Masaki Kobayashi et Yasujiro Ozu, dans leur rôle est impressionnante, parfois presque inquiétante. L'importance du score de Tôru Takemitsu et de la photographie de Hiroshi Segawa doit également être soulignée. Suna no onna est incontestablement un grand film.
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*incompréhension, folie, révolte, résignation, désespoir et leur contraire se succèdent et se mêlent tout au long du métrage.




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