vendredi 7 décembre 2007

L'Homme qui marche


"Vous êtes de ceux qui..."

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Voilà un premier long métrage de femmes sur un homme* qui mérite notre attention. Librement inspiré des dernières années de la vie, étrange et triste, d'un écrivain méconnu, le scénario de L'Homme qui marche** signé par Aurelia Georges et Elodie Monlibert nous entraîne en effet dans un univers et des préoccupations dont l'actualité n'a, hélas, rien perdu de son acuité mais sont la plupart du temps ignorés ou mal traités par le cinéma. Ce film est aussi l'heureuse occasion de retrouver, même fugitivement, des comédiennes appréciées*** et le singulier acteur espagnol César Sarachu, partenaire notamment d'Amira Casar dans The Piano Tuner of Earthquakes des frères Quay.
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Attablé à la terrasse d'un restaurant, un couple a remarqué un autre client, assis seul à proximité. Daniel, photographe, aimerait faire le portrait de cet individu longiligne au visage si particulier. C'est Irène qui se charge d'aborder le mutique inconnu, recueillant son accord plein de réserve, ses nom et adresse. L'homme d'origine russe s'appelle Viktor Atemian. Ecrivain tardif, il vit dans un grand appartement presque vide du Quartier latin. Irène et Daniel sont peu après invités à la lecture publique organisée pour la publication de son premier ouvrage intitulé "Fils de chien". Mais les productions littéraires suivantes ne semblent pas intéresser son éditeur. Un soir, ayant racheté assez cher deux billets pour une représentation à l'Opéra, il offre spontanément l'une des deux places à une femme se trouvant sur les marches du Palais Garnier et accepte, après le spectacle, l'invitation à dîner au restaurant de Liliane. Au détour de la conversation, l'atmosphère fraîchit brusquement et les deux convives se séparent à la fin du repas sans volonté affichée de se revoir. Viktor met bientôt en vente son appartement et s'installe dans un modeste hôtel où il poursuit avec intensité son travail d'écriture.
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Œuvre plaisamment hors norme, "objet insolite", L'Homme qui marche surprend, amuse, dérange tout à la fois. Authentique tragi-comédie, au sens classique du terme, à la narration resserrée, il s'apparente un peu à un haïku occidental, jouant comme cette forme poétique nippone sur la description, le détachement, l'humour, les figures de style et, surtout, la césure. Et même si l'oblitéré Jacques Lacan y tient une place spéciale, le film d'Aurelia Georges se range davantage du côté de la pensée "signifiante et significative" de Roland Barthes. S'agit-il d'un portrait figuratif du destin d'un artiste oublié ? D'une métaphore sur la transformation d'une société à travers le parcours d'un individu solitaire, révolté et pourtant auteur d'un texte sur l'ultime soumission, entré sans "garde-fou" dans une spirale incontrôlée ? L'Homme qui marche souligne en tous cas bien cette lente érosion de la "sociabilité" au profit de l'indifférence. Chaque personnage, essentiellement féminin, croisé par Viktor Atemian contribue à révéler une partie de son mystère, mais sans jamais le dévoiler tout à fait. Cet Homme qui marche continue assurément sa route dans notre souvenir.
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*au sens d'humanité.
**sans rapport direct avec le personnage de BD de Jirô Taniguchi ou à la sculpture de Rodin ; mais une référence à celle de Giacometti est possible.

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