lundi 12 novembre 2007

Cría cuervos...


"Tout est faux. Il n'y a rien... J'ai peur."

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Œuvre-clé des années 1970, Cría cuervos... constitue le troisième volet d'une tétralogie informelle entamée avec Ana y los lobos et La Prima Angélica et conclut sur Elisa, vida mía. Lorsque Carlos Saura débute la production de son film, l'étouffante dictature du caudillo Francisco Franco, malade depuis 1969, agonise lentement. Les artistes espagnols ne peuvent pourtant toujours pas aborder des thèmes trop réalistes. Lorsqu'ils ne se lancent pas dans le film de genre, notamment horrifique, les réalisateurs se réfugient dans la métaphore ou l'allégorie poétique comme Victor Erice et son El Espiritu de la colmena. Deux ans après un "Prix du jury" cannois pour son précédent film, Saura obtient* grâce à celui-ci le "Grand prix" du festival français.
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Insomniaque chronique, Ana descend l'escalier de la maison familiale. Elle peut entendre du rez-de-chaussée une femme prononcer plusieurs fois le prénom Anselmo. La femme en question, d'abord inquiète par le malaise de son partenaire, s'enfuit bientôt sans avoir pris le temps de refermer son chemisier. Ana pénètre dans la chambre et découvre son père, mort sur son lit. La petite fille prend alors le verre de lait vide se trouvant sur la coiffeuse afin de le laver méticuleusement dans la cuisine. Dans le réfrigérateur, elle détache deux feuilles de salade pour nourrir Roni, son cochon d'Inde. Sa mère la surprend à cette heure tardive et l'envoie au lit avec tendresse. Le lendemain, avec l'aide de Rosa la domestique, on se prépare pour la cérémonie funéraire à laquelle assistent les confrères officiers du défunt. Au grand désarroi de sa tante Paulina, tutrice testamentaire des trois orphelines, Ana refuse d'embrasser le cadavre de son père dans son cercueil et s'abrite derrière le fauteuil roulant de sa grand-mère.
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A l'âge de sa jeune héroïne Ana, Carlos Saura, dont la mère est aussi pianiste, vivait dans une Espagne venant de basculer du Frente Popular à la guerre civile puis à la dictature. Le scénario de Cría cuervos... est probablement fortement influencé par cette expérience traumatique infantile. Rare sont, en effet, les cinéastes à avoir su illustrer, avec autant de subtilité et de sensibilité, l'imaginaire douloureux d'un(e) enfant, ballotté(e) entre le bel et chaleureux amour d'une mère disparue et l'âpreté, parfois violente, du monde trompeur des adultes. Le récit, presque intemporel et rythmé par le beau thème nostalgique et un peu solennel du compositeur Federico Mompou, repose sur un triptyque éminemment tragique : souvenir, souffrance et mort. Mais Saura lui donne une dimension singulière, d'abord par l'identification formelle de la fillette avec sa mère Maria, mais aussi par le fantasme de la volonté opérative grâce auxquels le film s'extrait du réel pour explorer le surnaturel. Aux côtés de la belle égérie Geraldine Chaplin, Ana Torrent, fascinante jeune actrice remarquée auparavant dans le film de Victor Erice déjà cité, réussit à porter très haut Cría cuervos... sur ses frêles épaules. N'est-ce pas fantastique, cela aussi ?
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