vendredi 8 décembre 2006

Seppuku (harakiri)


"Curieuse coïncidence !"

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En 1962, le maître Kenji Mizoguchi, auteur du patriotique Genroku chushingura et de Shin heike monogatari, est décédé depuis six ans. Yasujiro Ozu, qui ne s'est jamais illustré dans le jidai geki, tourne son ultime film. Et Seppuku sort quelques mois après l'excellent Tsubaki Sanjûrô d'Akira Kurosawa. Dans la longue tradition des films de samouraï, initiée au début des années 1920 par Daisuke Ito et artistiquement dominé par plusieurs des productions de Kurosawa, le film de Masaki Kobayashi occupe une position tout à fait particulière. Les scènes de combats, au demeurant subtiles et efficaces, n'y occupent pas une place prépondérante et ne constituent pas l'argument primordial du scénario. Le probable chef-d'œuvre du réalisateur d'Hokkaido tire l'essentiel de son irrésistible pouvoir de séduction des qualités narratives et esthétiques réunies par l'ancien assistant de Keisuke Kinoshita et son équipe. Sélectionné au Festival de Cannes 1963, Seppuku y reçoit le "Grand prix du jury"(1) présidé par l'écrivain Armand Salacrou et par Rouben Mamoulian.
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23 juin 1630, septième des vingt années de l'ère Kan'ei. Hanshiro Tsugumo, un ancien samouraï du clan Geishu, se présente à la résidence du seigneur Li. A la suite de la dissolution de son clan par le Shogun, onze ans auparavant, et la disparition de son maître, ce ronin a sombré dans la misère, obligé d'opérer une reconversion dans un modeste artisanat. Il souhaite à présent être autorisé à exécuter la cérémonie du seppuku dans l'édifice du clan Li. Il est reçu par l'intendant, lequel teste la détermination du candidat au suicide et mentionne la démarche identique déjà opérée auprès d'eux par un dénommé Chijiwa, un autre membre des Geishu. Il n'est en effet pas rare de voir d'anciens bretteurs prétendre vouloir se donner la mort pour, en réalité, obtenir une aumône. La cérémonie est préparée dans la cour du palais mais Tsugumo, récusant le choix de celui qui doit porter le coup de grâce, réclame la présence d'Omodaka. On envoie chercher celui-ci malgré l'indisposition qui le retient chez lui. Pendant ce temps, le ronin raconte les circonstances de sa décision à l'intendant et à son entourage.
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La précision temporelle donnée par le scénario n'est évidemment pas fortuite. Si la pratique du seppuku au Japon remonte à la fin du XIIe siècle, c'est à dire au cours de la période Heian, un événement important va contribuer à son développement. La décisive bataille de Sekigahara, avec laquelle s'ouvre la féodale et pacifique ère Edo dominée par le shogunat Tokugawa, contribue à la perte de leur emploi de milliers de samouraïs(2). Cette situation oblige le législateur, pour des raisons complexes et variées, à promulguer des Buke shohattô (règles des maisons militaires)(3), amendés en 1629 par une nouvelle définition du code d'honneur des samouraïs. C'est dans ce contexte que se situe l'histoire de Yasuhiko Takiguchi, l'obscur auteur également à l'origine du très bon Jôi-uchi de Kobayashi.
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En arrière plan de la tragédie individuelle vécue par cet étrange héros qu'est Tsugumo, fortement mobilisatrice de l'attention de celui qui découvre le film par la durable "suspension" dans laquelle il est placé, il y a donc une réalité politique et sociale singulière, dramatique qu'il serait dommage d'ignorer. Elle permet de mieux apprécier l'opposition, la contradiction, soulignées par le scénario entre morale (immoralité) collective et individuelle, entre honneur et déshonneur. Thématiquement très proche du Genroku chushingura de Mizoguchi, le film en constitue une sorte d'antithèse. Le réalisateur s'est probablement aussi souvenu de la naissance, au cours de l'époque où se déroule le récit, du kabuki(4). Seppuku possède une théâtralité indéniable, davantage dans sa rigueur narrative et sur le plan visuel que sur celui de la mise en scène. Les interprétations des acteurs sont à la fois formidablement expressives et sobres, en particulier celle du remarquable Tatsuya Nakadai, dans un rôle très différent de Hanbei tenu dans Tsubaki Sanjûrô. Avec ce film et Jôi-uchi ensuite, Kobayashi bouscule la suprématie de l'empereur Kurosawa. Le cinéaste et futur membre du jury de la Berlinale 1969 n'aura, hélas, pas la même longévité artistique que son aîné.
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1. une récompense également attribuée à Kaidan deux ans plus tard.
2. vocable venant de créer, à cette époque, une segmentation à l'intérieur de la caste des bushi.
3. auxquelles appartenaient les membres de l'une des quatre catégories sociales du Japon d'alors.
4. en 1629, soit un an avant l'action initiale du film, les femmes sont interdites de représentations théâtrales, activité considérée comme un facteur de prostitution important.

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