jeudi 2 novembre 2006

Ikimono no kiroku (vivre dans la peur)


"Tout le monde meurt. mais je ne veux pas être tué !"

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Produit entre Shichinin no samurai et Kumonosu jô, Ikimono no kiroku est longtemps resté une des œuvres les plus méconnues d'Akira Kurosawa, notamment en Occident. Il s'agit pourtant du premier des deux films(1) du cinéaste à avoir fait l'objet, en 1956, d'une sélection officielle, en compétition, au Festival de Cannes. Dix ans après Hiroshima et Nagasaki, onze avant "Kuroi Ame", l'ouvrage de Masuji Ibuse adapté au cinéma en 1989 par son compatriote Shohei Imamura, Si les oiseaux savaient constitue l'une des premières contributions (artistiques) humaines à poser une question cruciale : comment vivre sous la menace de l'arme atomique, devenue nucléaire en 1952 ? Kurosawa traite ce thème difficile avec une grande sensibilité sur un mode à la fois métaphorique et réaliste.
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Le docteur Harada, dentiste de profession, intervient également comme médiateur pour le tribunal des affaires familiales. Il est appelé à connaître une affaire opposant le vieil industriel de l'acier, Kiichi Nakajima, aux membres de sa famille représentés pas son épouse agissant en tant que plaignante. Celle-ci et trois de ses enfants veulent empêcher le chef de famille de céder ses actifs pour aller s'installer dans une ferme de São Paulo au Brésil après avoir dépensé, en vain, une fortune dans l'édification d'un abri antiatomique dans le nord du pays. Faisant fi de la décision de justice, Nakajima, qui est également le père de cinq enfants adultérins, poursuit son projet et rencontre un émigré japonais au Brésil intéressé par une transaction croisée. Mais après une seconde réunion au tribunal au cours de laquelle les arguments des parties sont entendus, le juge décide la mise sous tutelle des biens du patriarche.
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Il est surprenant de constater que ce sujet, universel par essence, n'ait jamais été traité de manière "sérieuse" en dehors du Japon. A l'exception(2) du cas spécifique de la célèbre adaptation du roman de Marguerite Duras par Alain Resnais et du tardif Offret d'Andrei Tarkovsky, le cinéma international y a plutôt vu matière à comédies (l'excellent Dr. Strangelove de Kubrick par exemple) ou à productions catastrophiques (parfois à tous les sens du terme). Ikimono no kiroku est tourné au début de la période de prolifération atomique, Etats-Unis et Union soviétique ayant successivement effectué, en 1952 et 1953, leur premier essai de bombe H. Etrangement, le film de Kurosawa ressort au moment même où ce risque réapparaît avec une acuité particulière. Toute la force du scénario consiste à nous interroger à travers un drame familial qui peut sembler banal mais où s'opposent des concepts généraux et fondamentaux, aveuglement et clairvoyance, folie et normalité, égoïsme et intérêt collectif, autorité et contestation, amour et héritage. Tout l'intérêt du film repose sur une mise en scène formidablement maîtrisée, apportant une ampleur lyrique à la narration, et sur la qualité de l'interprétation, notamment celle de Toshirô Mifune, méconnaissable mais totalement lui-même. Enfin, Ikimono no kiroku trouvera un écho ultérieur dans le pénultième film du réalisateur, Hachigatsu no kyoshikyoku.
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1- le second, Kagemusha partagera, en 1990, la "Palme d'or" avec le All That Jazz de Bob Fosse décernée par le jury présidé par Kirk Douglas.
2- Signalons que le film de Kurosawa sort la même année que Kiss Me Deadly dans lequel le risque atomique est un des ressorts dramatiques.

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