vendredi 3 novembre 2006

Double Indemnity (assurance sur la mort)


"Tu n'es pas plus malin. Seulement un peu plus grand."

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Après deux premiers films pour la Paramount assez conventionnels mais néanmoins réussis, le réalisateur Billy Wilder peut envisager de prendre quelques risques. Et il ne va pas s'en priver. D'abord par le choix d'un court récit de James Mallahan Cain, publié pour la première fois en 1935 et inspiré d'un meurtre réel commis en 1927, qui va servir à l'élaboration du scénario. Le journaliste et auteur, dont les romans noirs ont depuis souvent été portés à l'écran, venait de céder les droits de son précédent ouvrage, The Postman Always Rings Twice, à la MGM. Cain indisponible pour adapter son propre texte en raison d'une collaboration avec Fritz Lang et la Fox, Wilder fait appel à l'écrivain Raymond Chandler, célèbre depuis la parution en 1939, à cinquante ans, de son premier roman, The Big Sleep, et alcoolique notoire, plutôt qu'à Charles Brackett, son complice habituel. Les deux hommes ne vont pas s'entendre, mais cela ne les empêchera pas de produire ensemble un des meilleurs films de Wilder et un modèle du film noir. Pour interpréter les purs anti-héros hollywoodiens de son intrigue, après avoir été sollicité en vain par Dick Powell(1) sous contrat avec un autre studio, Wilder pense d'abord à Alan Ladd et même à George Raft avant de mettre l'acteur de comédie Fred MacMurray et l'héroïne positive Barbara Stanwyck, affublée de surcroît pour le rôle d'une disgracieuse perruque blonde, en situation de contre-emploi.
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Los Angeles, 16 juillet 1938. Un véhicule parcourt les rues nocturnes de la ville à vive allure, ne s'arrêtant pas aux feux rouges. Il se gare devant le Pacific Building et la silhouette qui en sort accède au bâtiment grâce au gardien de nuit. L'agent Walter Neff, une fois dans son bureau de la compagnie d'assurance dont il est l'employé et son manteau ôté, laisse apparaître une vilaine blessure à l'épaule gauche. Débute alors une longue confession adressée à son collègue Barton Keyes, le chef du contentieux, enregistrée sur des cylindres de vinyle. Neff avoue être le meurtrier de Mr. Dietrichson avec la complicité de l'épouse de celui-ci, Phyllis. Il avait rencontré cette dernière à la fin du mois de mai précédent en se rendent chez ce client pour le renouvellement des polices d'assurance automobile. Séduit par cette jolie femme, il s'était laissé progressivement convaincre de l'aider à éliminer son détestable mari après lui avoir fait signer, à son insu, une assurance accident. Neff, en mettant en scène ce lucratif événement tant espéré dans un train, permettrait même à sa nouvelle amante de recevoir une double indemnité.
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La particularité de Double Indemnity, et, avant lui, celle du livre de James M. Cain dont il est inspiré, vraisemblable raison de son interdiction par le Code Hays, est de faire d'individus parfaitement banaux de froids meurtriers(2). Phyllis et Walter n'appartiennent pas à la corporation du crime, ne sont motivés ni par un impératif économique, ni par des raisons d'ordre psychologique. L'appât d'un gain facile et le sexe, mis en avant par certaines affiches du film, sont les seuls moteurs de leur forfait. Cette narration à la première personne et en flash-back est alors susceptible de séduire le spectateur en deux temps. D'abord par l'intervention, que l'on sait déjà probablement fatale, du destin à l'origine de la rencontre des futurs complices et de l'élaboration de leur projet puis par la lente et inexorable faillite de celui-ci.
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Billy Wilder et son chef opérateur John F. Seitz, tout en respectant avant la lettre les codes formels du film noir, construisent leur récit à la manière d'un reportage, avec un soucis de l'efficacité et du rythme évident. Le couple, ici prodigieusement mal assorti, MacMurray-Stanwyck, réuni auparavant par Mitchell Leisen et que l'on reverra chez Douglas Sirk, fonctionne à merveille et la prestation d'Edward G. Robinson est (encore une fois) remarquable. Nommé sans succès dans sept catégories, dont quatre majeures, des Academy Awards l'année du triomphe de Going My Way, Double Indemnity, sorti la même année que Laura et Phantom Lady(3), a décroché la plus belle des récompenses, celle décernée, depuis plus d'un demi-siècle et certainement pour longtemps encore, par les cinéphiles.
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1- qui trouvera une compensation en incarnant Philip Marlowe la même année dans Murder, My Sweet d'Edward Dmytryk d'après Chandler.
2- un ressort sur lequel ne pourront plus jouer Henry Hathaway et Lawrence Kasdan pour respectivement Niagara et Body Heat.
3- ainsi que The Woman in the Window.

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