lundi 16 octobre 2006

Jeder für sich und Gott gegen alle (l'énigme de kaspar hauser)


"... Une dure chute."

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Succédant à l'épique tournage péruvien d'Aguirre et à un moyen métrage documentaire consacré au (futur double) médaillé d'or suisse de vol à ski Walter Steiner, Jeder für sich und Gott gegen alle (litt. "chacun pour soi et Dieu contre tous") se déroule plus paisiblement en Bavière. Mais Werner Herzog ne rompt pas pour autant avec le mythe. Kaspar Hauser est, en effet, un des personnages les plus énigmatiques du XIXe siècle, à l'égal du légendaire "Homme au masque de fer" du centenaire précédent. Célébré dans "Sagesse" par Paul Verlaine, "l'orphelin de l'Europe" ne pouvait qu'inspirer le réalisateur allemand comme il l'avait fait, avec un résultat très différent, pour son compatriote Robert A. Stemmle (surtout connu pour Berliner Ballade) avant lui. Sélectionné à Cannes en 1975, Jeder für sich... y a reçu trois prix dont le "Grand prix" du jury présidé par Jeanne Moreau.
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Un jeune adulte est claustré dans une cave depuis son plus jeune âge. Un jour, l'homme, qui le nourrit de pain et d'eau, le revêt d'une veste, lui enfile des bottes et l'emmène dans la ville de N. Il le laisse, immobile, sur une des places, un livre de prières et un chapeau dans une main, une lettre anonyme dans l'autre. Dans celle-ci, un habitant intrigué par le personnage découvre un message adressé au commandant en chef du "4e escadron du 6e régiment de chevau-légers" auquel le géniteur de l'inconnu aurait appartenu. Identifié comme Kaspar Hauser grâce aux seuls mots qu'il sache griffonner, le jeune homme est d'abord logé dans une tour-prison avant d'être accueilli dans la brave famille du gardien puis chez Monsieur Daumer. C'est au contact de ce dernier que Kaspar va apprendre à améliorer son discours, à lire, à écrire et même à jouer, certes maladroitement, du piano.
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Ce n'est évidemment pas la dimension historico-dramatique de cet insolite personnage qui intéresse d'abord Werner Herzog. Dans un souci de véracité, il n'aurait d'ailleurs pas arrêté son choix sur un débutant quadragénaire pour incarner un adolescent de dix-sept ans. Quatre ans après L'Enfant sauvage de François Truffaut, ce n'est pas non plus la délicate et exclusive relation entre nature et culture qui l'a primitivement incité à produire le film. Cet aspect motivera en revanche la psychanalyste spécialiste de l'enfance Françoise Dolto pour préfacer l'étude consacrée à Kaspar Hauser par le criminaliste Anselm von Feuerbach, venu à Nuremberg quelques semaines après sa subite apparition. Jeder für sich... est un tragique mais éclairant conte philosophique et moral où il est (encore) question de renaissance et d'aliénation. Sur fond de basculement du rapport de force entre religion et science*, Herzog développent une thématique assez proche de celle du bouc émissaire que formulera en 1982 l'historien René Girard. La profonde lucidité que possède, grâce à sa simplicité, sa sincérité et sa sensibilité, Kaspar Hauser y constituerait le bien à l'origine de son sacrifice. Le film ne serait bien sûr pas aussi fort sans l'interprétation de Bruno S.chleinstein dont l'enfance n'a, hélas, rien à envier à celle de son personnage.
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*dans le siècle où l'industrialisation et la démocratie vont triompher, l'une déclare : "s'il ne comprend pas, qu'il croie !", l'autre affirme : "je n'ai pas appris à comprendre mais à déduire." (répliques, à distance, du scénario)

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