mardi 19 septembre 2006

Mondovino


"... Beaucoup de liens avec l'immatériel..."

Vous avez trouvé que le long métrage millésime 2004, malgré ses plus de deux heures (presque trois en France) manquait un peu de longueur en bouche* ? Rassurez-vous, il existe une version "jéroboam" (pas seulement de Bordeaux !) qui devrait satisfaire votre soif... de connaissance du milieu viti-vinicole international. Mondovino était une cuvée sélectionnée, Mondovino, la série est un assemblage (à ne pas confondre avec coupage) de plusieurs crus de première qualité confectionné avec le même soin par un Jonathan Nossiter toujours aussi gourmand et... spirituel.
Comment comprendre qu'un cinéaste né dans l'officielle ville de Washington, connu jusque là pour un drame romantique récompensé à Sundance et à Deauville ainsi que pour un thriller psychologique français tourné en Grèce, puisse consacrer tant d'énergie et de passion à un secteur aussi connoté que celui du vin ? D'abord parce qu'en suivant son journaliste de père à travers le monde, Nossiter a acquis, contrairement à bon nombre de ses homologues, une véritable culture ouverte sur l'étranger. Sommelier diplômé et reconnu (concepteur de cartes des vins de certains grands restaurants new-yorkais), il rêvait également depuis longtemps de produire un film consacré à ce domaine si spécifique, à la fois ancré dans la tradition et soumis aux impératifs conjugués de l'industrie et du marketing, donc à la mondialisation.
Sous un climat moins continental que le cépage Michael Moore, avec lequel il figurait dans la sélection cannoise il y a deux ans, le polyglotte Nossiter a développé plus de finesse et d'équilibre, moins de nervosité. Toujours chaleureux avec ses interlocuteurs, il ne prend jamais directement parti, infirmant seulement quelques contrevérités, nous laissant juges de situations et de personnages souvent contradictoires. Son talent particulier à saisir, parfois malgré eux, la nature d'individus, presque tous théoriciens ou "philosophes", est remarquable, le cinéaste s'amusant volontiers à ouvrir de fausses pistes, à présenter des à-côtés souvent drôles, voire peu flatteurs ou à filmer canidés et félins domestiques comme autant d'acteurs décisifs de son enquête. L'une des qualités gustatives essentielles de Mondovino est que, tout en soulignant la relative complexité de cet art devenu métiers, il ne s'adresse pas uniquement aux spécialistes. Il pourrait même créer une vocation chez certains profanes.

I. Où est Astérix ?
Aniane, petit village du Languedoc. La mobilisation d'une partie de la population empêche le groupe US Mondavi de créer, sur environ cent vingt hectares de bois communaux du massif de l'Arboussas, une exploitation vinicole avec la bénédiction du maire socialiste André Ruiz. Parmi les principaux opposants, Aimé Guibert, propriétaire du Mas de Daumas Gayssac, et le couple Gay, fondateurs de l'association des "Citoyens pour la protection de la forêt". L'élection du communiste Manuel Diaz au poste de premier magistrat a sonné le glas du projet d'implantation française de l'un des plus grand noms du vin californien. Gérard Depardieu et son associé négociant Bernard Magrez dans la société "Vins d'exception" ont depuis acquis quelques parcelles sur le territoire de la commune. L'épisode s'achève sur une visite chez Mondavi (créé en 1966, côté au Nasdaq depuis 1993, 120 millions de bouteilles par an, 500M$ de chiffre d'affaires) à Napa Valley.

II. La potion magique
Visite en Bourgogne, en particulier chez l'ancien avocat Hubert de Montille, propriétaire d'un domaine de huit hectares à Volnay. Rencontre avec sa famille, notamment ses enfants, Etienne qui gère l'exploitation à sa façon et Alix, salariée chez Ropiteau, ainsi qu'avec le directeur du groupe Boisset (70 millions de bouteilles par an, 290M$ de C.A.), maison-mère de cette dernière société. Rendez-vous chez "Chateau & Estate" à Napa, une société conseil du vignoble Sterling, exploitation commune au groupe Seagram et à Diageo.

III. Rome ne s'est pas faite en un jour
Découverte de quelques uns des principaux domaines californiens et rencontre avec leur propriétaire, le Clos Pegase (180ha, créé en 1983 par Jan Shrem, également collectionneur d'art), Staglin (16ha, fondé en 1985 par la famille homonyme dont le chef est également le patron d'une grosse entreprise informatique), Harlan Estate (90ha dont 15 de vignes, créé en 1985) et, last but not least, Opus One (42 ha), joint venture entre Mondavi et le Château Mouton-Rothschild depuis 1980. Les bouteilles produites par ces "belles maisons", férues d'art et de cuisine, se négocient entre 140$ et plus de 3.000$ pièce, une valeur hors-marché expliquée par un commerçant local qui a, lui, conservé toute sa lucidité ! Ces bien nommées exploitations utilisent quasiment exclusivement du personnel mexicain qui ne perçoivent qu'une infime part de la valorisation qu'ils permettent. Luis Ochoa, un de ces ouvriers agricoles, a décidé de se lancer dans la production de vin. Pas à Napa, un peu à l'extérieur et surtout... sans les considérables moyens et les soutiens dont disposent les précédents.

IV. Pax Panoramix
Plusieurs reportages montés en parallèle. A Jurançon (Pyrénées), Yvonne Hegoburu a créé, en 1985 sur six hectares, le domaine de Souch après le décès de son mari. A Bosa, dans le Nord-Ouest de la Sardaigne, les Colombu continuent à produire le Malvasia local menacé de disparition. A New York, l'importateur du Queens Neal Rosenthal évoque sa jeunesse et l'influence du terroir sur le vin, opposant notamment dans ce domaine Bordelais et Bourgogne. L'on retrouve quelques protagonistes des épisodes précédents, parmi lesquels Michel Rolland, le fameux consultant "oxygéné" de cent domaines situés dans douze pays différents, en visite dans le Pomerol (château Le Gay, château Certan de May, château Clinet). A Londres, rencontre avec Michael Broadbent, le directeur des vins chez Christie's depuis 1967. Où il est également question de l'utilisation des produits chimiques et du classement comme premier cru de Mouton-Rothschild en 1855.

V. La Via Appia
Plus qu'à la première route pavée, reliant Rome à Brindisi, bordée à la fois d'opulentes villas et de tombeaux, le titre du cinquième épisode fait référence à une voie du comté de Sonoma (Californie), voisin de Napa Valley. C'est à proximité que se trouve le siège d'Enologix, la plus importante société de conseil en vins des Etats-Unis. Son président, Leo McCloskey, valide et croit pérenne l'étroite relation existant entre le cours de bourse des entreprises vinicoles et le prix des bouteilles, lui-même fortement influencé par la notation des critiques, en particulier celle de Robert Parker. Ce résident de Monkton (Maryland), proche de Baltimore, ami de Michel Rolland, est un amateur des produits Harlan (dont il a contribué à faire passer le prix des bouteilles de 65$ à 250$) et de ces vins techniques appelés "vins de garage" comme celui élaboré au château Valandraud (St-Emilion) par Jean-Luc Thunevin. La certaine standardisation ("napanisation") des vins observée depuis quelques années peut lui être, en grande partie, imputée.

VI. Quo Vademus (où allons-nous ?)
Suite de l'épisode précédent sur le "diktat" des notations (la forme latine correcte est "quo vadimus"). Visite au "Wine Spectator Magazine" qui participe à cette évaluation chiffrée et contestée des productions vinicoles, favorisant, comme R. Parker, les vins jeunes, concentrés, obtenus à partir de raisins mûrs et élevés en fûts de chêne neufs. La résistance s'est organisée en Bourgogne où l'auteur du Maryland est, depuis 1994, interdit de séjour ; il a même perdu un procès pour diffamation intenté par le propriétaire de l'un des plus grands domaines de la région bourguignonne sis en Côte de Beaune. Arguments croisés avec, du côté des vignerons, Aubert de Villaine (domaine Romanée-Conti), la famille Lafarge (Volnay) et l'inévitable Hubert de Montille.

VII. Tous les chemins mènent à Rome
Un petit épisode aux tonalités psychanalytiques, d'abord avec Jean-Louis Laplanche, traducteur de Freud et propriétaire du château de Pommard (20 ha) dont la rumeur annonce la cession de son domaine à un des acteurs majeurs du secteur. Détour par Napa pour une brève visite dans un vignoble californien récent baptisé "Folie à Deux" par les Dismang, ses anciens détenteurs. Et encore et toujours le thème de la globalisation du marché du vin et le rôle des grands négociants, tels Boisset (dont le directeur général n'hésite pas à "payer de sa personne" en s'adonnant, avec un évident plaisir, au pigeage du chapeau de marc dans une cuve)'' ou William Pitters, et de la grande distribution dans la standardisation des productions.

VIII. Franchir le Rubicon
Dans quel sens s'est effectué ce franchissement, périlleux selon l'expression, victorieux si l'on se fonde sur l'histoire : s'agit-il de l'influence des winemakers américains sur les productions toscanes ou de la volonté des propriétaires italiens de vendre plus et mieux, quitte à modifier radicalement les caractéristiques de leurs vins ? Assurément les deux, à l'image du marquis Lodovico Antinori, fondateur en 1985 du vignoble Ornellaia, classé n°1 mondial en 2001 par le "Wine Spectator Magazine" grâce aux conseils de Robert Mondavi et d'un certain Michel Rolland. Ce n'est pourtant pas avec lui que se sont associés les Californiens, mais avec les Frescobaldi, famille de la noblesse italienne, présente dans le secteur du vin depuis près de neuf cents ans, visitée dans une Florence en état d'alerte pour cause de Forum social. Etrange alliance entre des aristocrates et de prospères plébéiens.

IX. Et tu Brute...
Cette expression anglo-saxonne, équivalent du "Tu quoque fili mi" latin prêté à Jules César au moment de son assassinat, synthétise une autre trahison. Après son échec à Aniane (voir épisode I), les Mondavi se sont tourné vers l'Italie et ont acquis une participation directe chez Ornellaia malgré leur partenariat avec les Frescobaldi. Lorsque Lodovico Antinori a souhaité vendre la totalité de son vignoble, son actionnaire minoritaire s'est montré aussitôt très intéressé mais sans lui annoncer que son intention était de céder la moitié de cette acquisition à son concurrent italien. Depuis, Lodovico et son frère Piero ont créé à partir de rien un nouveau vignoble, Campo di Sasso dans la région de Livourne. Où il est également question de la situation des familles Antinori et Frescobaldi pendant le régime fasciste.

X. Veni, vidi, vendidi (je suis venu, j'ai vu, j'ai vendu)
Pour ce dernier épisode, dont le titre s'inspire encore d'une expression césarienne, J. Nossiter sous emmène en Amérique latine. D'abord en Argentine, dans la région de Cafayete, pour y rencontrer Arnaldo Etchart, dont la famille produit du vin depuis 1850. En 1996, il vend sa société et son nom au groupe Pernod-Ricard et crée un nouveau vignoble sur 14 ha. dont les bouteilles portent la signature d'un certain... Michel Rolland. José Mounier, le directeur général de la société Etchart, possède sa propre bodega perdue au milieu des montagnes. Les Rodrigez sont de petits artisans vignerons qui possèdent 4 ha. de vigne et produisent un vin typé. Le fils Charlie va se rendre à Napa Valley pour assister à des vendanges. Michel Torino, le numéro un argentin avec 50 millions de bouteilles par an, s'inspire des techniques en vigueur en Californie. Dans l'état de Pernambuco, au Nord-Est du Brésil, visite à l'entreprise Botticelli-Milano (500 ha., 4 millions de bout.), à Mauro Tedesco et son épouse Isanette Bianchetti (15ha.) et au maire Jorge Garziera, également important viticulteur local.
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*"dégustation en longueur" comme dirait H. de Montille.

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