jeudi 17 août 2006

The Innocents (les innocents)


"... Quelque chose de dissimulé, de chuchoté... et d'indécent."

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Avant d'être plusieurs fois portée à l'écran, la nouvelle "The Turn of the Screw" d'Henry James, parue au début de l'année 1898, a d'abord inspiré un opéra au compositeur Benjamin Britten, créé à Venise en 1954 par le célèbre ténor Peter Pears dans le rôle de Quint, la soprano Jennifer Vyvyan dans celui de la gouvernante et le jeune David Hemmings, que l'on retrouvera au cinéma notamment dans le Blowup d'Antonioni, dans celui de Miles. Pour Jack Clayton, cette adaptation constitue un changement d'univers radical. L'ex-producteur associé de John Huston venait en effet de réaliser son premier long métrage, Room at the Top, rattaché au Free Cinema. Sélectionné à Cannes, récompensé aux BAFTA, nommé six fois aux Academy Awards, le film obtenait l'"Oscar" du meilleur scénario adapté et Simone Signoret celui de la meilleure actrice principale.
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Auréolé de tant de gloire dès son coup d'essai, le cinéaste aurait pu se reposer sur ses lauriers. En choisissant d'adapter la nouvelle d'Henry James, considérée comme l'une des œuvres majeures de la littérature fantastique, il se mettait, sciemment ou non, en situation de risque. D'abord parce que ce type de production, à l'époque, était considéré comme la chasse gardée du studio Hammer sur le territoire britannique. Ensuite, en raison du précédent et très bon téléfilm tourné par John Frankenheimer avec Ingrid Bergman dans le rôle principal, diffusé aux Etats-Unis en 1959. Même si la moisson de récompenses fut nettement plus maigre, Clayton réussit à faire de The Innocents un film à bien des égards admirable et absolument incontournable pour les amateurs du genre.
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Recrutée comme gouvernante de ses deux neveux orphelins par leur tuteur qui refuse de s'en occuper, Miss Giddens se rend dans l'immense propriété provinciale de Bly où résident les enfants. Elle y rencontre Flora, sa ravissante nouvelle jeune protégée, et Mrs. Grose, l'intendante. Le contact est immédiatement bon avec cette gouvernante, impressionnée et charmée par les lieux. Flora annonce, alors qu'elle n'est pas prévue, l'arrivée prochaine de son grand frère Miles, pensionnaire dans un collège depuis le décès subit de la précédente gouvernante. Le lendemain, Miss Giddens reçoit une lettre du collège annonçant le renvoi de Miles parce qu'il "cause un préjudice aux autres" et celui-ci arrive bientôt par le train. Peu après, du jardin où elle cueille quelques roses, la gouvernante aperçoit la silhouette d'un homme au sommet d'une tour de la demeure. Mais lorsqu'elle y monte, elle ne trouve que Miles, occupé à nourrir ses colombes. Le soir, alors qu'il est déjà l'heure de mettre les enfants au lit, Miss Giddens accepte de jouer avec eux à cache-cache. Lorsqu'elle parvient à l'étage pour les chercher, elle voit cette fois une femme, qu'elle prend pour Anna, une des domestiques, traverser le couloir.
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A la confluence du film d'épouvante, du fantastique et du drame psychologique, The Innocents, modèle du surfait The Others, séduit avant tout par son classicisme et sa grande sobriété. Ce qui ne l'empêche d'ailleurs pas de réserver aux spectateurs, pas encore totalement blasés, quelques authentiques épisodes de frissons. La fidélité au texte n'est pas absolue, mais Jack Clayton a parfaitement su retranscrire toute la force suggestive de la nouvelle d'Henry James, inspirée d'un fait réel raconté par un archevêque. Comme le souligne son titre, le film repose sur une dialectique de l'innocence et de la perversité, tour à tour représentées par Miss Giddens et par les deux enfants selon que l'on penche pour une lecture rationnelle ou irrationnelle, toutes deux possibles, du récit. Ces fantômes existent-ils ou ne sont-ils que le produit de l'imagination (condition initiale requise pour occuper le poste) de la gouvernante dont la dévotion de fille de pasteur tourne à l'hystérie démente.
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Dans ce film atmosphérique s'inscrivant dans la lignée de The Uninvited de Lewis Allen, la tension oppressante va crescendo, accentuée par un mouvement continue de la lumière vers l'obscurité. Dès l'arrivée à Bly, la progression à travers le parc de Miss Giddens est suivie, guettée devrait-on dire, par une caméra placée derrière un arbre. Imperceptiblement, ce décor apparemment enchanté, et ses occupants, dévoilent des contours de plus en plus inquiétants ; les jours se font moins radieux, la ritournelle de Flora paraît moins angélique, les toilettes immaculées de la gouvernante laissent la place à une tenue de deuil. Derrière la séduction presque surnaturelle qui caractérise les enfants se profile le thème de la sexualité, de manière certes moins explicite que dans le récent Peeping Tom de Michael Powell ou le contemporain Viridiana de Buñuel, mais lui aussi régulièrement suggéré*.
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Il faut enfin souligner la qualité de la photographie de Freddie Francis (que David Lynch choisira pour tourner The Elephant Man) et celle des interprétations des acteurs, réduits en effectif mais artistiquement brillants. Deborah Kerr, bien sûr, dans un rôle très différent de ses habituels comédies ou drames romantiques. L'épatant Martin Stephens, déjà convaincant dans Village of the Damned, et Pamela Franklin dans son premier film et qui collaborera à nouveau avec Clayton pour Our Mother's House. Probablement moins percutant et novateur que The Haunting de Robert Wise, The Innocents n'en reste pas moins une œuvre importante de l'histoire du cinéma.
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*par exemple par un bouton du cordon d'un rideau venant battre avec insistance sur le treillis d'une fenêtre.

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