lundi 5 juin 2006

J'ai vu tuer Ben Barka


"... La chance, on verra plus tard."

Si la littérature, les articles et témoignages sur "l'Affaire Ben Barka" ne manquent pas, le cinéma s'est, au cours des quarante dernières années, montré plus réservé ou prudent sur le sujet. La presse et l'édition seraient-elles moins "encadrées" que le Septième art ? Les producteurs redoutaient-ils de ne pas toucher un assez large public avec un film "historique" ? Argument apparemment fondé puisque J'ai vu tuer Ben Barka, diffusé quelques jours seulement après la date anniversaire de l'enlèvement de l'opposant marocain et chef de file du mouvement contre l'impérialisme et le néo-colonialisme, n'a réuni que quelques dizaines de milliers de personnes. Pourtant, après la fiction d'Yves Boisset sortie sous l'ère Pompidou et dans laquelle Gian Maria Volontè incarnait un personnage fortement inspiré de Ben Barka, le film de Serge Le Péron aurait mérité une audience moins confidentielle. Sans être réellement à la hauteur de ce mystère en partie élucidé, J'ai vu tuer Ben Barka a le mérite, notamment grâce à son traitement, de documenter, à la fois sérieusement et plaisamment, cette véritable affaire d'Etat qui avait éclaté juste avant la candidature du président de Gaulle à sa propre succession.
17 janvier 1966. Le corps de Georges Figon vient d'être trouvé par la police dans le meublé où il se cachait. Le mort raconte alors, en voix off, les circonstances de ce décès. Automne 1965. Editeur de presse confronté à de gros soucis financier, Figon rêve de se refaire en écrivant et en produisant un film en collaboration avec son amie Marguerite Duras. Cette opportunité semble devenir moins illusoire lorsqu'il rencontre, grâce à son pote Georges 'Jo' Boucheseiche, un certain Chtouki. Celui-ci accepte en effet de lui apporter la somme de cent millions d'anciens francs pour la réalisation d'un documentaire sur la décolonisation, à la condition expresse de persuader son compatriote Medhi Ben Barka d'en être le conseiller historique. Après avoir convaincu Georges Franju de diriger le film destiné à être projeté à la conférence "Tricontinentale" en janvier, Figon et le journaliste Philippe Bernier, connu de Ben Barka, se rendent au Caire pour rencontrer l'ancien président de la première Assemblée nationale marocaine. Le rendez-vous est bref mais cordial et les trois hommes conviennent de se retrouver le 29 octobre pour un déjeuner à Paris en présence de Franju.
Une grande partie de la suite, relatée dans le film, est aujourd'hui connue à l'exception de l'identité du ou des mandants et du sort réservé au corps de Ben Barka. L'originalité de ce drame en trois actes*, reprenant pour titre celui de la une de "L'Express" du 10 janvier 1966, est d'une part d'être traitée à la manière d'un polar narré en flash-back par l'instrument principal devenue l'une des nombreuses victimes de ce complot. Et d'autre part en essayant d'éviter une top grande linéarité grâce, en particulier, à la mise en abyme créée par la troisième partie. Cette construction nuit cependant un peu à la clarté et à la force du récit. Bien documenté, mêlant quelques images d'archives pour accentuer son authenticité, J'ai vu tuer Ben Barka pèche également par la relative fadeur de sa mise en scène. Les cinéphiles seront, en revanche, troublés par le rôle joué par cet art dans le montage de ce projet meurtrier dont Georges Franju, le cofondateur de la Cinémathèque française et qui venait de travailler avec Marguerite Duras pour le film collectif Les Rideaux blancs, et, secondairement, Anne-Marie Coffinet ont été les acteurs malgré eux.
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*1. L'approche 2. Les affaires se gâtent 3. Les assassins.

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