mardi 30 mai 2006

Manderlay


"I take from the bottom."

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Dédié à Humbert Balsan, l'un des coproducteurs du film, le deuxième volet de la trilogie de Lars Von Trier baptisée "U.S.A. Land of Opportunity", Manderlay* se situe dans le droit fil de Dogville. Seul le visage de Grace, le personnage principal, a changé pour des raisons contingentes, mais compte tenu de l'abstraction formelle de l'oeuvre, cela n'a pas d'incidence sur sa cohérence ni sur sa qualité artistique. Pour parfaire cette continuité, le film était également sélectionné au Festival de Cannes, le huitième (sur huit longs métrages de cinéma) du réalisateur danois déjà récompensé à trois reprises.
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Grace et son gangster de père ont quitté Dogville pour Denver (Colorado), le territoire des "affaires" de ce dernier. Mais en son absence, de nouvelles forces sont apparues, obligeant l'ancien "concessionnaire" à se replier vers le Sud. Lors d'une halte dînatoire devant les grilles de "Manderlay", un domaine cotonnier d'Alabama, Grace est interpellée par une jeune femme Noire, la suppliant de la suivre pour empêcher la punition corporelle de Timothy, l'un des esclaves nègres de la plantation. Avec l'aide des hommes de main de son père, Grace interrompt la séance et fait libérer l'homme en question malgré l'intervention armée de Mam, la doyenne de la famille Mays, propriétaire des lieux. Grace rappelle à la vindicative vieille femme que l'esclavage a été abolie depuis soixante-dix ans. Mam, prise d'un malaise, est portée dans sa chambre.
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Sentant sa mort imminente, elle demande à l'inflexible Grace d'accepter de brûler un livre caché sous son matelas. Celle-ci refuse et déclare au vieil esclave Wilhelm que ses compagnons et lui sont désormais libres et que le fameux livre, intitulé "The Mam's Law", pourra servir de pièce à charge dans l'hypothèse d'une action en justice contre la famille Mays. Au même moment, Mam rend son dernier souffle. Avant de reprendre la route, Grace et son père ont une longue conversation dans leur voiture, interrompue par l'arrivée de Wilhelm qui souhaite remercier la jeune femme pour son intervention. Mise en présence de la petite communauté d'affranchis et tancée par le fier Timothy, Grace décide de rester à "Manderlay" pour s'assurer de la bonne évolution de la situation sur place.
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Manderlay est, comme le volume précédent, une fable** morale mais aussi politique qui, si elle était une production littéraire, trouverait sa place aux côtés des oeuvres de Montesquieu, de Voltaire et de Jean-Jacques Rousseau. Situé symboliquement en 1933, ce récit métaphorique, dans lequel s'opposent d'emblée l'idéalisme infantile de Grace au réalisme lucide de son père, est très riche sur le plan thématique. Plus qu'un film sur le racisme et l'esclavage historique comme on le présente habituellement, Manderlay, société (seulement américaine ?) en réduction, traite des grands principes fondateurs de la démocratie : liberté, égalité, fraternité. Des "instruments" destinés à assurer leur pérennité (le pouvoir, exécutif, législatif, policier et la justice) et de leur corruption puisque l'imposture et la dissimulation, au nom du terrifiant "moindre mal", occupent une place éminente dans le scénario.
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La modernité de cette histoire est qu'elle met également en évidence un élément susceptible de nous permettre de mieux comprendre le présent. Elle nous rappelle, en effet, que le capitalisme s'était développé, en particulier aux Etats-Unis, en partie grâce à l'esclavage. On peut légitimement se demander, à la lumière de certaines évolutions récentes, si, ayant épuisé les autres sources de productivité, sa préservation ne passerait pas par un retour déguisé à une certaine forme de servitude.
Inutile de revenir trop longuement sur le dispositif scénique choisi par Lars Von Trier, identique à celui de Dogville. L'influence théâtrale de Brecht y est en revanche moins sensible. Filmé en vidéo comme un reportage, l'impression d'actualité et la charge émotionnelle semblent plus vives. Enfin, Bryce Dallas Howard apporte cette innocence, cette fragilité désirante si nécessaires à ce personnage de Grace. Des arguments que Nicole Kidman, son aînée (de quatorze ans) occupée à tourner avec Sydney Pollack, n'aurait pu aisément faire valoir.
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*Manderley est aussi le nom du manoir dans le roman de Daphne Du Maurier, Rebecca, adapté par Alfred Hitchcock.
**en huit chapitres : 1. In which we happen upon Manderlay and meet the people there 2. The freed enterprise of Manderlay 3. The old lady's garden 4. In which Grace means business 5. "Shoulder to shoulder" 6. Hard times at Manderlay 7. "Harvest" 8. In which Grace settles with Manderlay and the film ends.

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