lundi 22 mai 2006

Dillinger è morto (dillinger est mort)


"Fatalement."

Dillinger è morto constitue, dans l'œuvre de Marco Ferreri, une sorte de perfection ou, à tout le moins, un repère. Le réalisateur n'utilisera-t-il pas des extraits de ce film pour élaborer l'épilogue du tardif I Love You ? Il marque aussi un tournant décisif dans sa carrière, notamment par l'abandon de la narration classique au profit d'une représentation neutralisée, symboliquement épurée et poétique, presque abstraite ou expérimentale, de la société moderne libérale et de ses acteurs aliénés qu'il vilipende depuis déjà plusieurs de ses productions. Ce troisième film de Ferreri sélectionné à Cannes et première collaboration avec Michel Piccoli annonce de manière évidente, mais en moins pessimiste, La Grande bouffe. Contrarié par l'intérêt et l'estime qu'avait la critique pour Dillinger è morto, le Milanais déclara, avec son sens coutumier de la provocation : "Le film ne sert à rien, il plaît au ghetto de la culture. Et on s'en fout..."
Glauco est ingénieur dans l'industrie de l'armement dont la récente création, un masque contre les gaz toxiques, vient de passer avec succès les tests d'homologation. Lorsqu'il rentre chez lui, il trouve son épouse alitée, souffrant d'une grosse migraine. Ne trouvant pas à son goût le dîner préparé par Sabina, la bonne, il décide de se cuisiner un plat de viande. En cherchant de l'estragon, il tombe sur un objet insolite, enveloppé dans du papier journal. Les deux quotidiens en question sont des exemplaires du "Chicago Daily Tribune" et d'"Il Messaggero" datant de 1934 dont la une annonce la mort de Dillinger, le fameux ennemi public n°1 américain de cette époque. A l'intérieur se trouve un vieux revolver que Glauco va méthodiquement démonter, graisser et rassembler.
Personne ne s'attend, avec Ferreri, à vivre les derniers instants du Mesrine américain des années 1930. La biographie de personnages célèbres n'intéresse évidemment pas le cinéaste italien, sauf ponctuellement pour les tourner en ridicule. Il leur préfère des individus apparemment quelconques plongés dans un quotidien d'une grande banalité et dont l'existence va brusquement être bouleversée par un coup de folie surréaliste. C'était déjà le cas avec L'Uomo dei cinque palloni. Dans Dillinger è morto, ce basculement est à la fois plus insidieux et extrémiste. Le film s'ouvre sur une double obsession, oppressante et claustrophobe, l'une militaire et l'autre politico-philosophique, à laquelle on ne prête pas beaucoup attention, mais qui va conditionner la suite des "événements".
Glauco, livré à lui-même, va en effet progressivement sortir de son classique rôle de cadre et d'époux et transformer son environnement conformiste en un pur rêve éveillé. La raréfaction des dialogues, laissant une place triomphante aux différents objets audiovisuels de l'appartement, et la perte de toute notion de temps, voire l'anachronisme au sens premier du terme sur lequel joue le film, accentue ce sentiment d'immersion dans un univers chimérique traitée sur un ton léger. Il ne faut donc chercher aucune suite logique, aucun projet dans l'enchaînement des actions du personnage central et quasi unique de ce presque huis-clos. Et le spectateur doit, pour cette raison, éviter les résumés trop explicites sur le contenu du film.
Celui-ci fait sournoisement penser à La Vie à l'envers d'Alain Jessua ou au Themroc de Claude Faraldo que tournera un peu plus tard le même Michel Piccoli. Mais Ferreri, dont la patte (la griffe devrait-on dire !) est unique, va d'une certaine manière plus loin sur les thèmes de la transformation, de l'isolement et du vide. Dans cette étrange relation de la naissance d'un rebelle, magnifique et dérisoire, suscitée pas la mort d'un autre rebelle, un certain optimiste semble encore l'habiter puisque, contrairement aux films suivants dans lesquels la mort constitue la solution incontournable, une fuite reste ici envisageable.

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