lundi 17 avril 2006

L'Enfant


"On en r'fera un autre."

Le sixième long métrage des frères Dardenne recèle une ambiguïté, unique mais majeure : qui est désigné par son titre ? La première réponse, spontanée, est que L'Enfant est naturellement le nouveau-né, innocent et involontaire déclencheur de la succession d'événements qui compose la trame narrative du film. Mais peut-être pas. Pour le reste, nous retrouvons l'univers des deux réalisateurs belges esquissé, pas à pas, depuis La Promesse en 1992. Le personnage principal du film n'est-il pas le grand-frère ou Igor lui-même, déjà interprété par Jérémie Renier, quelques années plus tard ? Autre constante, ce troisième film présenté en sélection officielle à Cannes est, comme les précédents, reparti de la Croisette avec un prix, une seconde "Palme d'or" après celle décernée en 1999 à Rosetta.
Sonia, encore adolescente, vient d'accoucher d'un petit Jimmy. Elle retrouve aussitôt Bruno, le père du nourrisson à peine plus âgé qu'elle, qui a loué le studio de la jeune femme pendant son absence. Bruno, parti du domicile maternelle, subsiste grâce à de petits larcins commis par deux collégiens. Bien qu'il accepte de reconnaître l'enfant, la présence de celui-ci ne bouleverse en rien sa façon de vivre. Sa receleuse lui donne même l'idée de vendre Jimmy contre une grosse somme d'argent. Sonia, avertie de la transaction, fait une syncope et doit être hospitalisée. Bruno décide alors de récupérer le bébé, déclenchant l'hostilité des revendeurs et de Sonia qui le dénonce à la police.
Pure fiction ou réalisme social ? Si l'on compare le dernier film des Dardenne à Ossos de Pedro Costa avec lequel il partage quelques points communs, au moins sur le plan du récit, c'est plutôt la seconde proposition qui s'impose. Tourné à la manière d'un documentaire dans cette grise et morne banlieue industrielle qu'est Seraing, L'Enfant semble vouloir souligner l'étrange stade de barbarie et de désillusion auquel notre civilisation est retournée. Celui où, à l'image du mythique et primitif Cronos qui dévorait ses enfants, la progéniture est réduite à une valeur marchande. La cohérence thématique avec les œuvres précédentes est, en tous cas, respectée. Rien d'étonnant à voir Bruno rejeter le système en refusant de travailler après l'expérience traumatisante vécue dans ce domaine par Rosetta. Comme celle-ci, Bruno réussit toutefois à s'inscrire dans un mouvement rédempteur passant par la reconnaissance de son amour pour sa compagne et par la découverte de sa responsabilité, lui permettant de vivre la classique mais délicate transition entre l'enfance et l'âge adulte. La qualité du travail des réalisateurs repose à la fois sur la simplicité (certains diront le simplisme) de la mise en scène et leur capacité à créer une réelle tension dramatique au cœur de cette histoire qui, malgré le seul relief musical du film, n'a rien d'une valse.

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