lundi 23 janvier 2006

The Girl on a Motorcycle (la motocyclette)


"- ... Toujours ramper à travers un labyrinthe de sentiments.
- L'amour est une souffrance !"

Cela ne se sait pas assez, mais Jack Cardiff n'est pas seulement le brillant chef-opérateur de Michael Powell, John Huston, Mankiewicz ou Richard Fleischer (entre autres, excusez du peu !) mais il porte aussi parfois la casquette de metteur en scène. L'un de ses films a d'ailleurs été sélectionné à Cannes en 1960 (en compétition avec La Dolce vita), et, l'année suivante, son nom figurait même parmi les réalisateurs sélectionnés pour les Golden Globes et les Academy Awards. Il surpassait, au cours de la première cérémonie, Kubrick et Wilder. Et repartait finalement avec l'"Oscar"... de la meilleure photographie. Les professionnels de la profession sont souvent conservateurs. En 1967, Cardiff se voit confier par une production franco-britannique l'adaptation de "La Motocyclette", le roman d'André Pieyre de Mandiargues paru en 1963 grâce auquel il retourne, en compétition, sur la Croisette. Une quinzaine écourtée en raison du contexte politique en ce joli mois de mai 1968 et de la démission solidaire du membre du jury Louis Malle. Anecdotique au sens étymologique du terme, The Girl on a Motorcycle est en effet, même pour les non-motards, loin d'être inintéressant.
Prise par le désir irrépressible de rejoindre Daniel, son amant, Rebecca quitte, avant les premières heures du jour, le lit conjugal, revêt sa combinaison de cuir et enfourche sa motocyclette pour se rendre à Heidelberg. A travers la campagne alsacienne, grisée par la vitesse et le froid du petit matin, elle repense avec jubilation à sa rencontre avec celui qui l'a initié à l'amour physique et, sur sa Norton Atlas, aux plaisirs périlleux du deux-roues motorisé. C'était au cours d'un séjour dans une station de sports d'hiver avec son fiancé Raymond Ness, délicat et distingué professeur d'histoire-géo né en Suisse et chahuté par ses élèves, en compagnie d'un couple d'amis. Rebecca ne manque pas de remarquer qu'elle est l'objet de toutes les attentions d'un homme qu'elle reconnaît être Daniel Coloni, un client de la librairie de son veuf de père. Pendant la nuit qui suit, celui-ci s'introduit dans la chambre de la jeune femme et accède, sans résistance, à son intimité. Effrayée par son comportement, Rebecca obtient de Raymond l'anticipation de leur mariage. Mais elle ne peut renoncer, avant ses noces, à l'envie de revoir plusieurs fois Daniel, lequel lui offre, à titre de cadeau nuptial, une superbe Electra-Glide.
André Pieyre de Mandiargues a-t-il influencé Gainsbourg pour l'écriture de sa chanson "Harley-Davidson", enregistrée par Brigitte Bardot en octobre 1966 ? Difficile de répondre de manière catégorique à cette question. Mais lorsqu'il a été question de porter au cinéma l'ouvrage, c'est à l'actrice du Mépris que les producteurs ont aussitôt pensé. Elle y aurait retrouvé Alain Delon, son récent partenaire du film à segments Histoires extraordinaires. C'est finalement la jeune égérie du rock de cette époque, Marianne Faithfull, équivalent britannique de la germaine Nico (dont le fils a pour père Delon, le monde du show biz est petit !) et de notre Françoise Hardy nationale, qui hérite du rôle de Rebecca. Pas sûr que l'on ait perdu au change.
L'interprète de "As Tears Go By" se révèle parfaite dans la "peau" de ce personnage spontané, presque immature, et fantasque. Elle a la lourde responsabilité d'occuper, presque sans interruption (aux doublures près), l'écran. Car, comme le suggère le titre original, notable inflexion par rapport à l'œuvre littéraire, c'est elle qui est le véritable personnage principal du film. Dans ce délicat rapport de soumission-domination qu'elle entretient avec son mentor, son ascendance avec le réputé comte Leopold von Sacher-Masoch s'est peut-être dévoilée. Delon, en maître à penser du libre-amour, est ici plus convaincant que dans le film de Valerio Zurlini à venir où il tenait également un rôle de professeur au prénom homonyme. Enfin Jack Cardiff a su, en plus de son génie de l'éclairage et de la photographie, insuffler assez de poésie onirico-psychédélique (avec le recours ponctuel à une technique nouvelle de solarisation de l'image) pour rendre cette histoire, présumée banale, suffisamment plaisante. 

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