jeudi 12 janvier 2006

Da hong deng long gao gao gua (épouses et concubines)


"Qui peut prévoir la fin du jeu ?"

Le troisième film de Zhang Yimou, le dernier de la trilogie entamée en 1987 avec Hong gao liang, est une œuvre magnifique à plusieurs titres. D'abord par la qualité de son scénario, tiré de la première d'un recueil de trois nouvelles du jeune auteur Su Tong, ensuite par sa grande beauté visuelle et par la pertinence de la représentation symbolique qu'il donnait de la Chine... au point d'y avoir été interdit jusqu'à la production du film suivant, Huozhe, plus conforme à la "ligne politique" du pays à cette époque. L'Occident ne s'y est pas trompé, Da hong deng long gao gao gua étant sélectionné à la Mostra de Venise 1991 et y recevant l'un des trois "Lions d'argent" décernés au cours de cette édition. Le film était, l'année suivante, sélectionné aux Academy Awards dans la catégorie "meilleur film étranger"*.
La Chine du Nord dans les années 1920 ou 1930. Originaire de Fengcheng, Songlian vient d'avoir dix-neuf ans. Orpheline d'un père commerçant ayant fait faillite, elle doit interrompre ses études et accepter la proposition de sa belle-mère de prendre un mari. Plutôt que d'être l'unique épouse d'un homme pauvre, elle préfère devenir la quatrième concubine du riche et âgé maître Chen Zuoquian. Arrivée dans la demeure de ce dernier, elle fait la connaissance de ses "grandes sœurs", Yuru, Zhuoyun et Meishan. La première a donné un fils, Feipu à son mari mais elle est aujourd'hui délaissée à cause de son âge. La deuxième, souriante et accueillante, n'a pu avoir qu'une fille, Yizhen. La troisième, une jeune et capricieuse ex-cantatrice d'opéra, a elle aussi eu un garçon, Feilan.
La jeune servante Yan'er, à laquelle le maître accorde parfois ses faveurs et qui rêvait, malgré son statut, de devenir concubine, entre au service de la nouvelle venue qu'elle déteste d'emblée. Les quatre femmes, entourées de tous les soins mais réduites au plus complet désœuvrement, deviennent rivales. La tradition et les rites familiaux ancestraux désignent, chaque jour, la concubine qui partagera la couche de Chen et son pavillon au sein de la résidence est alors éclairé de multiple lanternes rouges. Elle devient ainsi, provisoirement, la vraie maîtresse des lieux. De nouvelles intrigues de pouvoir vont rapidement naître et s'intensifier.
Tragédie en trois actes (et autant de saisons), avec préambule et épilogue, Da hong deng long gao gao gua est un étouffant huis clos, situé dans un univers quasiment carcéral (à l'architecture sans cesse soulignée) "objectivement dominé" par les femmes mais dont seul peut s'extraire maître Chen Zuoquian**, l'énigmatique personnage central dont on ne voit jamais vraiment distinctement le visage. En ce sens, ce premier film chinois produit par des capitaux taïwanais est une puissante métaphore de l'Empire du milieu, de ses paradoxes (persistance des archaïsmes hérités de la féodalité, du culte de la personnalité avec l'impératif collectif socialiste) et perversions. Cette remarquable peinture d'un drame au féminin, d'une déchéance de la raison, d'autant plus terrifiants qu'ils sont admirablement bien photographiés, montre de manière percutante l'influence d'un système, destiné a priori à donner du sens et une cohérence, sur l'intelligence, se traduisant notamment par la perte d'humanité. Songlian est le symbole vivant de cette "lumière progressivement étouffée" en l'Homme, et pas seulement dans les régimes totalitaires. Avec sa mise en scène d'une grande sobriété, soulignant d'autant mieux la qualité de l'interprétation, toute en nuances, et la beauté des costumes et des décors, Da hong... est une œuvre forte, à la saveur persistante.
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*Berlin avait récompensé Hong gao liang en 1988 et Cannes sélectionné Ju Dou deux ans plus tard.
**ou un être à l'article de la mort.

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