jeudi 1 décembre 2005

Shattered Glass (le mystificateur)


"C'est dans mes notes."

L'erreur de casting n'est pas réservée au seul domaine du cinéma. Tous les corps de métier peuvent en être la victime, de l'entreprise (même conjugale !) à la "sphère" politique. Parmi les cas recensés, celui de Stephen Glass est particulièrement exemplaire et symptomatique de notre civilisation. Voilà un individu, singulièrement doué pour l'écriture romanesque, qui se pique de journalisme, LA discipline dans laquelle il n'est pas question de raconter des histoires. Celui qui aurait pu devenir un brillant écrivain, scénariste, avocat ou occuper une fonction prestigieuse au sein de l'Administration (gouverneur, député, secrétaire d'Etat...) verra sa carrière prendre fin brutalement à vingt-six ans après quarante et un articles rédigés, entre 1995 et 1998, pour la revue "The New Republic" dont près des deux-tiers étaient de pures sornettes. C'est cet épisode terminal, inspiré d'un article du titulaire du "prix Pulitzer" Buzz Bissinger paru dans "Vanity Fair", qui sert de trame au film de Billy Ray qui, bien qu'il n'ait pas eu les honneurs d'une exploitation dans les salles françaises, mérite d'être vu.
Stephen Glass, diplômé de l'Université de Pennsylvanie en 1994, est l'un des journalistes-reporters vedettes de "The New Republic" ('The Inflight Magazine of Air Force One') ainsi que l'épisodique auteur d'articles pour les revues "Rolling Stone", "George" et "Harper's". Certains éléments de "Spring Breakdown", son compte rendu du congrès conservateur CPAC 1997, éveillent, un moment, les soupçons de son rédacteur en chef et ami, Michael Kelly. Lorsque celui-ci est renvoyé par Marty Peretz, le directeur de la publication, en raison de sa défense systématique de ses collaborateurs, et remplacé par le jeune Charles 'Chuck' Lane, avec lequel Glass a moins de complicité, des tensions naissent au sein de la rédaction. C'est dans ce contexte que "Forbes Magazine" parvient à démontrer que l'article de Glass intitulé "Hack Heaven", sur l'accord passé entre un hacker et l'entreprise victime de son intrusion informatique, est une pure invention.
Presque aussi incroyables que le faux récit d'un enfant de huit ans héroïnomane de Janet Cooke publié dans le "Washington Post" en 1980 et couronné, l'année suivante, d'un "prix Pulitzer", les affabulations* de Glass étaient, sur le papier, un matériau idéal pour l'écriture d'un scénario. Dans la lignée de All the President's Men, Shattered Glass (au titre original, encore une fois, plus subtil que le français) devrait particulièrement intéresser les amateurs de films sur la presse. Les autres ne seront pas déçus par cette nouvelle preuve que la réalité dépasse parfois la fiction (et inversement !). Malgré la longueur de l'exposition initiale et même si le script laisse, évidemment, toute la place aux dialogues, la mise en scène souligne plutôt adroitement la psychologie du personnage central, grâce notamment à cette fausse et imaginaire narration en flash-back, authentique rêve éveillé, qui ponctue le métrage. Le journaliste avouera, quelques années plus tard*, qu'il souhaitait, à tous prix, c'est à dire celui de la déontologie de son métier, que ses articles plaisent pour avoir le sentiment d'être aimé. Derrière les lunettes de Glass, entre deux épisodes de Star Wars, Hayden Christensen offre une interprétation un peu linéaire mais honorable, soulignant la belle prestation de Peter Sarsgaard dans un rôle qui était, au départ, destiné à Greg Kinnear.
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*S. Glass a publié, en 2003, son histoire sous le titre "The Fabulist".

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