mercredi 2 novembre 2005

Um Filme Falado (un film parlé)


"... A l'ombre de l'arbre de la Bonté."

On ne sait pas si Manoel de Oliveira a pratiqué, au cours de sa fameuse période sportive, des jeux de balles mais, visiblement, il semble avoir un certain goût et talent pour le contre-pied. Venant tout juste après le romanesque O Princípio da Incerteza, cette insolite fiction aux allures de documentaire (ou peut-être est-ce l'inverse) qu'est Um Filme Falado nous fait définitivement comprendre l'absolue vanité de toute tentative à vouloir le cataloguer. de Oliveira est, en effet, un des rares artistes contemporains à pouvoir jouir d'une telle liberté créatrice. Ce trentième long métrage, au titre résonnant comme une sage provocation, en est une preuve éclatante.
En juillet 2001, Rosa Maria, une professeur d'histoire à l'université de Lisbonne, et Maria Joana, sa fille âgée de huit ans, embarquent à bord d'un navire de croisière en direction de Bombay où elles doivent respectivement retrouver leur mari et père. Ce voyage, qui fait successivement escale à Marseille, Naples, Athènes, Istanbul, Port Saïd et Aden, donne l'occasion à Rosa Maria de connaître des lieux qu'elle ne connaissait jusque là que par ses lectures. Elle lui permet également de raconter à Maria Joana les histoires et légendes de ces berceaux de civilisations. A chacune des trois premières étapes, de nouveaux passagers montent à bord du bateau, notamment trois femmes connues que le commandant américain invite à sa table.
Bien qu'il puisse apparaître comme une réédition moderne et didactique, six siècles plus tard, du périple du navigateur portugais Vasco de Gama, Um Filme Falado ressemble davantage à la transposition formelle de la tragédie grecque au cinéma. L'importance accordée à la religion, aux protagonistes, aux édifices et aux costumes dans le film atteste déjà cette démarche. Mais sa structure même est inspirée du modèle théâtral antique, trois actes et une alternance entre parties parlées, parties chantées et récitatifs. Un intéressant parallèle pourrait d'ailleurs être fait entre le film et la vision nietzschéenne de la décadence de la tragédie. Dans cette métaphore fictionnelle et eschatologique située volontairement juste avant le "Onze septembre", Manoel de Oliveira associe l'utopie d'une nouvelle Société des nations dirigée par les femmes, dans laquelle les interlocuteurs parleraient leur langue en étant compris des autres sans traduction simultanée, au nihilisme dont les premières victimes seraient la mémoire collective et l'espoir symbolisés par la mère et sa fille. Um Filme Falado constitue une intéressante base de réflexion sur le sens de la civilisation et notre siècle naissant, moins spectaculaire mais plus subtile que la "Palme d'or" 2004. 

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