vendredi 4 novembre 2005

O Principio da incerteza (le principe de l'incertitude)


"Guerrière ou martyre ?"

Adaptation du premier volet d'une trilogie de l'écrivain Agustina Bessa-Luis, "A Joia de familia" (littéralement "le bijoux de famille", le film ayant donné son titre à la traduction en français), ce vingt-neuvième long métrage de Manoel de Oliveira marque le retour du cinéaste au romanesque, celui d'Amor de Perdição et de Vale Abraão. Comme il en a l'habitude, le réalisateur portugais met avant tout son art au service des idées et des dialogues. Et derrière cette longue, élégante et cruelle arabesque sentimentale, appartenant nettement, dans le fonds et la forme, à l'univers fictionnel du cinéaste, c'est la décadence des valeurs morales et sociales, principalement bourgeoises, qui est dépeinte avec une certaine dureté. O principio da incerteza a été présenté en sélection officielle à Cannes en 2002.
A la demande de la servante Celsa, les frères Roper interviennent au cours d'un dîner pour convaincre Antonio Clara, un jeune et riche héritier d'un grand domaine viticole de la vallée du Douro, d'épouser Camila dont le père, par sa passion maladive du jeu, à ruiné la famille. Celsa redoute les nouvelles fréquentations de son jeune maître, qu'elle considère comme son propre enfant, notamment Vanessa, une femme de mauvaise vie, présentée à Antonio par José Luciano, le fils de la servante. Le mariage a lieu mais, très vite, le couple est fragilisé par la personnalité de la jeune mariée et par la liaison qu'Antonio entretient avec Vanessa.
Mystérieuse parabole, aux accents métaphysiques, sur le destin et sur l'obligatoire ambivalence* du monde et des êtres, O principio da incerteza ne cherchent visiblement pas à séduire, au sens trivial du terme. L'histoire relatée, reposant sur un secret familial primordial, n'a rien de réellement original. Mais là n'est pas l'essentiel. C'est la sournoise influence qu'elle exerce sur les personnages et, par contagion, sur le spectateur, qui intéresse Manoel de Oliveira. Lequel applique, peut-être, à la lettre la réplique en forme de postulat du film : "il n'est pas besoin de comprendre, il suffit d'écouter." Pour y parvenir, le réalisateur crée un canevas dont le modèle emprunte aux formalismes théâtral et pictural, voire musical. Le choix des "Vingt-quatre caprices pour violon seul" de Niccolò Paganini, œuvre virtuose s'il en est, pour illustrer le film est, par exemple, éloquent. Mais c'est surtout l'interprétation de Leonor Baldaque, la petite-fille de l'auteur, donnant à son personnage fasciné par la figure ambiguë, mi ange-mi démon, de Jeanne d'Arc, une réelle profondeur, et celle de Leonor Silveira, une habituée du cinéma de oliveirien, qui sont à souligner et laissent une empreinte durable.
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*le principe d'incertitude, découvert par le physicien, fondateur de la mécanique quantique et lauréat du prix Nobel Werner Karl Heisenberg en 1925, stipule que la détermination de certains couples de valeurs, comme la position et la quantité de mouvement, ne peut se faire avec une précision infinie.

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