vendredi 21 octobre 2005

Milou en mai


"Ce qui compte, c'est que les gens soient ensemble pour une fois, ensemble."

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Entre la truculente adaptation du Cyrano de Bergerac de Jean-Paul Rappeneau, grand vainqueur de la seizième édition de La Nuit de Césars, et Nikita, le polar à l'américaine de Luc Besson, l'antépénultième film de Louis Malle apportait, en 1990, une rafraîchissante et nostalgique tonalité douce-amère et marquait délicatement sa différence dans la production cinématographique française. Quelque part entre la comédie satirique à l'italienne* et les œuvres chorales de Sautet, cette troisième collaboration avec Jean-Claude Carrière (également scénariste du film de Rappeneau) tranche aussi avec le précédent et probable meilleur opus du réalisateur, Au revoir les enfants, une œuvre très personnelle et sensible. Milou en mai illustre cependant parfaitement la confession du cinéaste selon laquelle, avec l'âge, il croyait désormais davantage aux émotions qu'aux idées. Son cœur de président du jury du Festival de Cannes n'a-t-il pas durablement balancé entre The Piano et Bawang Bieji ?
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Alors que les étudiants du Quartier latin manifestent et que l'essence commence à manquer en ce beau mois de mai 1968, Madame Vieuzac est prise d'un malaise et meurt dans sa grande maison du Gers. Son fils, Emile dit Milou, un sexagénaire resté enfant avec lequel elle vivait, rassemble la famille pour la veillée funèbre et les funérailles. C'est sa fille unique, Camille, qui arrive la première avec son aînée Françoise, ses deux jumeaux et Paul, son mari médecin, lequel repart presque aussitôt à Bordeaux où ses patients l'attendent. Sa nièce orpheline Claire arrive ensuite, accompagnée d'une amie, puis son frère Georges, correspondant du "Monde" à Londres, alors en vacances à St-Tropez avec sa jeune et seconde épouse britannique Lily. Tout ce beau monde est bien plus intéressé par l'héritage ou l'actualité politique que sincèrement chagriné par le décès de leur parente. L'hypothétique vente de la propriété et le partage des biens occupent les esprits, en particulier celui de Camille qui retrouve, à cette occasion, Daniel, un ancien soupirant et le notaire chargé de la succession Vieuzac. Des tensions naissent même au sein du groupe. Une nuit, pendant une coupure d'électricité, débarque Pierre-Alain, le fils de Georges, venu des barricades parisiennes en auto-stop avec Grimaldi, un marchand de primeurs en déroute à cause de la fermeture du marché de Rungis.
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L'un des grands attraits du cinéma de Louis Malle, c'est qu'il force en permanence le spectateur à découvrir ses films avec un regard neuf. Le cinéaste disait lui-même détester se répéter, préférant explorer, à chaque fois, des univers différents. C'est encore le cas avec Milou en mai dans lequel il s'amuse, tel un entomologiste (le métrage débute d'ailleurs sur une étonnante scène avec des abeilles), à observer l'influence d'événements exceptionnels sur le comportement d'individus et comment, dans une certaine mesure, ils les révèlent. Le décès de la doyenne de la famille, signe de la fin d'une époque, pousse les protagonistes à tenter de redonner, souvent de manière triviale ou maladroite, du sens à leur vie. Il libère l'eudémonisme latent de Milou, éveille la cupidité et l'égoïsme de Camille, la bourgeoise faussement émancipée, sort Georges de son austérité cultivée... et fait l'éducation de la jeune Françoise. Mais tous, en revanche, doucement emportés par leur rêve utopique, se trompent sur la signification des bouleversements socio-politiques en cours, dont l'origine était, elle aussi, éducative, nous offrant au passage une grotesque répétition de l'Exode. Il y a, dans ce Milou en mai concertant, voire symphonique (mais pas toujours consonant !), du Tchekhov et du Renoir. Et l'on éprouve une certaine délectation au jeu des acteurs, individuellement et collectivement très bons, celui de Michel Piccoli, bien sûr, dix ans après son apparition dans Atlantic City, de la tonique Miou-Miou et, surtout, de l'épatante Dominique Blanc que l'on ne voit plus assez au cinéma. Il ne manque presque rien au concert, pas même la pétillante musique de Stéphane Grappelli, la deuxième pour le cinéma de fiction après... Les Valseuses !
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*Milou... fut d'ailleurs apprécié de l'autre côté des Alpes puisque Louis Malle reçut, grâce à lui, le David di Donatello du meilleur réalisateur d'un film étranger.

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