samedi 3 septembre 2005

Jaws (les dents de la mer)


"My husband tells me you're in sharks?"

Trente ans déjà... Depuis 1975, Steven Spielberg a réalisé vingt films (il tourne actuellement le vingt et unième) dont certains ont marqué leur époque et le cinéma moderne en général. Jaws est de ceux-là. On peut même dire qu'il y a, pas seulement pour le principal intéressé, un avant et un après Jaws. Certes moins ambitieux que The Godfather de Francis Ford Coppola de la "maison d'en face", cette production Universal constitue le premier blockbuster postérieur à la fin de l'ère classique des studios d'Hollywood et un modèle de film de divertissement intelligent. Son influence sur la culture populaire est très significative et son statut d'œuvre-culte n'est pas exagéré. Et pourtant, Spielberg, soumis aux tensions duelles qui le caractérisent, en arrivera à le désavouer. On le sait, l'accouchement du film fut difficile. Multiples réécritures d'un scénario tiré de l'ouvrage de Peter Benchley, avec lequel les relations ne furent pas toujours cordiales, alors que Spielberg travaille déjà sur celui de Close Encounter, budget initial (finalement multiplié par cinq) ridicule, casting hésitant, délais de tournage largement dépassés pour des raisons techniques. Jaws fut, d'ailleurs, l'un des derniers longs métrages à utiliser une créature mécanique, accessoire désormais archaïque remplacé par l'imagerie informatique.
A la veille de l'ouverture de la saison estivale, la petite ville balnéaire d'Amity Island est le théâtre improbable d'un authentique drame. Le reste du corps, affreusement mutilé, de Christine 'Chrissie' Watkins, une jeune femme en vacances dans la localité, est retrouvé sur la plage. Le nouveau chef de la police, Martin Brody, résidant précédemment à New York et ayant une peur maladive de la mer, suit le premier avis du médecin-légiste, celui d'une attaque par un requin et décide aussitôt d'interdire la baignade. Mais il se heurte à l'opposition du maire, Larry Vaughn, qui redoute que l'ébruitement de ce fait divers ne nuise à sa ville et à ses administrés commerçants. Celui-ci réussit même à convaincre le docteur de modifier son diagnostic en une cause plus commune. Un enfant, Alex Kintner, est bientôt dévoré au milieu des baigneurs ; sa mère offre une prime de trois milles dollars à celui qui tuera le présumé requin.
Pendant une réunion exceptionnelle de la municipalité organisée pour décider des mesures à prendre, Quint, un chasseur de squales réputé, fait acte de candidature pour éliminer le fauteur de trouble mais il demande dix mille dollars. Pendant la nuit, deux péquins essaient d'appâter le sélacien avec un gigot. Le requin emporte le ponton sur lequel ils ont pris place et l'un d'entre eux manque de justesse de servir de plat de résistance. Le lendemain, une fièvre du dollar s'empare de la ville et les chasseurs de prime et de requin débarquent en nombre en même temps qu'un jeune ichtyologiste spécialiste des squales, Matt Hooper. Celui-ci confirme la première analyse du légiste, précisant qu'il s'agit sûrement d'un spécimen plus grand que ceux qui fréquentent habituellement cette partie de l'Atlantique. Un grand requin-tigre est chassé et la plupart des habitants croit l'affaire classée. Mme Kintner, en tenue de deuil, profite de l'attroupement autour de la bête pour gifler Brody qu'elle tient pour responsable de la mort de son fils après qu'elle ait appris le tout premier accident. Après avoir analysé nuitamment le contenu de l'appareil digestif de la fameuse prise du jour, ôtant définitivement à celle-ci toute responsabilité dans les événements dramatiques, Brody et Hooper explorent à bord de la vedette de ce dernier, les eaux autour de l'île. Ils découvrent, grâce au sonar dont il est équipé, le bateau gravement endommagé de Ben Gardner, un pêcheur local. Hooper s'équipe de sa combinaison de plongée afin de connaître les causes de cette fortune de mer. La coque du navire a été fracassée, des dents de requin y restant plantées... et elle n'est pas vide.
"You're gonna need a bigger boat." Après l'échec relatif de Sugarland Express, la pression sur Spielberg est forte. Le jeune réalisateur rêve à la fois d'imiter les cinéastes populaires, tels Victor Fleming, et d'entrer en concurrence avec des auteurs comme Kubrick ou Lean. Ce dilemme, apparemment inconciliable, sera, un peu plus tard, instinctivement symbolisé à travers le personnage à double facette qu'est Indiana Jones. La priorité, pour l'heure, c'est d'attirer en nombre les spectateurs dans les salles... les honneurs viendront plus tard. Qui aurait pensé, lorsque se montait le projet, qu'il atteindrait un tel succès commercial. Avec deux cent soixante millions de dollars de recettes, Jaws est le seul film des années 1970 (avec Star Wars qui a bénéficié, il est vrai, des retombées de son édition spéciale de 1997) à figurer dans le Top 50 du box-office mondial.
Qu'a donc inventé Spielberg pour en arriver là ? Depuis des lustres, certains monstres terrifiants, tels ceux de Creature from the Black Lagoon de Jack Arnold, It Came from Beneath the Sea de Robert Gordon ou encore Moby Dick* de John Huston, ont pris l'habitude de sortir de l'eau pour donner des sueurs froides aux teenagers et à leurs parents. Ce qui caractérise le mieux le film, c'est son réalisme et la construction binaire de sa narration, sans interférence avec une quelconque intrigue secondaire. Pour donner le plus d'impact à son thriller, Spielberg décide de tourner en conditions réelles, évitant de donner à Jaws ce côté "ballet williamsien" qui nuisent tant à la plupart des films sensés se dérouler en mer. Il diffère également le moment de l'identification et, surtout, de visualisation de l'ennemi, recourant jusque là à la suggestion par caméra subjective. La première partie se termine précisément lorsque le requin apparaît, encore fugitivement, à l'écran et où commence alors la chasse de ce Carcharodon carcharias de sept mètres cinquante (25 footer) et de trois tonnes.
La mise en scène est, compte tenu des conditions de tournage et de la nature du plus volumineux de ses protagonistes, délicate mais soignée, glissant à l'occasion, une référence au Vertigo d'Hitchcock lorsque la caméra souligne le choc éprouvé par le personnage de Brody, lors de la deuxième attaque du requin, par un travelling arrière sur son visage accompagné d'un zoom de 250 à 30mm. Le montage de Verna Field, la bande musicale herrmannienne de John Williams, notamment son thème sur deux notes destiné à personnaliser le prédateur, ont largement contribué à faire de Jaws autre chose qu'un thriller horrifique de plus, sans oublier le trio d'acteurs principaux avec une mention particulière à Robert Shaw et sa fameuse tirade, écrite par John Milius, sur son expérience tragique après le torpillage de l'"USS Indianapolis".
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*à noter, la référence explicite à Jaws sur une version de l'affiche du film.

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