mercredi 8 juin 2005

Or (mon trésor)


"Pourquoi tant de bonheur ?"

Des films sur la prostitution, le premier long métrage de Keren Yedaya, récompensé par une "Caméra d'or" (cela s'imposait !) et par le "Grand prix de la critique" à Cannes l'année dernière, est probablement l'un des plus forts. Peut-être trop. Les tentatives cinématographiques traitant ou abordant ce thème, du classique Das Tagebuch einer Verlorenen de Georg Wilhelm Pabst à l'hollywoodien Monster, en passant par celles de Jean-Luc Godard et, bien sûr, l'incontournable Christiane F. - Wir Kinder vom Bahnhof Zoo, ne sont pas rares. Rien qu'en 2004, quatorze films peuvent être recensés, parmi lesquels on trouve une fable sociale (Chroniques indiennes), un drame asiatique (Samaria), une chronique autrichienne (Struggle) et un faux documentaire (Vendues). Or ne peut être comparé à aucun. Plus que le marocain Al ouyoune al jaffa, c'est un film avant tout militant. Sa crudité implicite et sa violence non dévoilée ont justifié son interdiction au moins de douze ans. Apre, sombre, voire sordide, inconfortable, il prend littéralement aux tripes (et chez les messieurs, un peu plus bas) parce qu'il nous montre ce que l'on ne voit pas. Ce que l'on sait* mais que l'on ne veut pas voir.
Ruthie et sa fille de dix-sept ans Or vivent dans un petit appartement de Tel-Aviv. La mère se prostitue depuis une vingtaine d'années malgré les tentatives répétées de sa fille de lui faire quitter la rue. Pendant que Ruthie attend la nuit pour entrer en action, Or récupère des bouteilles consignées et fait la plonge dans le restaurant du père d'Ido, un voisin et camarade de classe, ce qui l'empêche d'être assidue au lycée. Une éclaircie semble pourtant apparaître dans l'existence des deux femmes. Ruthie accepte de faire des ménages, une place trouvée et proposée par sa fille et celle-ci engage une relation amoureuse saine et équilibrée avec Ido. Mais l'embellie est de courte durée.
La prostitution est-elle transmissible, de mère à fille, par le malheur ? Telle est, pour résumer, la problématique d'Or, film au titre paradoxal puisqu'il est d'une profonde noirceur. Mais malgré sa sécheresse et son traitement documentaire**, il s'agit aussi d'une fiction qui argumente longuement sur les relations mère-fille, jouant notamment sur l'inversion des rôles, et sur les rapports (de force) femme-homme. Si la comparaison avec le cinéma d'Amos Gitaï semble s'imposer, Keren Yedaya n'est pas une stricte observatrice de sa société. Il n'y a pas chez elle, contrairement à son confrère, de discours national et politique (sauf à l'occasion des cérémonies de remise de prix), ce qui constitue un atout primordial. En effet, les événements, narrés en plans-séquences à caméra fixe (choix de simplicité formelle et, également, une manière de borner l'espace), prennent ainsi une dimension universelle, ce qui est, sans doute, l'objectif poursuivi par la cinéaste. Ce que l'on peut reprocher au film, tout en comprenant ses intentions, c'est son radicalisme, son côté "noir, c'est noir". Aucun de ses personnages n'est authentiquement positif et la gent masculine, en particulier, est dépeinte avec une sévérité farouche. Soulignons, enfin, car elles sont les principales artisanes de la qualité du film, les remarquables interprétations de Ronit Elkabetz et, surtout, de Dana Ivgi. Essayez donc, pour voir, de soutenir le regard que lance celle-ci à la fin du métrage, prélude à une probable descente aux enfers.
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*un reportage de la BBC diffusé en 2001 rapportait, par exemple, que les Britanniques consacraient plus d'argent à la prostitution qu'au... cinéma !
**impression renforcée par l'absence de composition musicale associée.

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