jeudi 30 juin 2005

Gilberto Gil : electracustico


"Meu caminho pelo mundo eu mesmo traço
A Bahia já me deu régua e compasso." (in "Aquele abraço")

Gilberto Gil

La fin des années 1960 a été marquée par l'émergence, au sud du Tropique du cancer, de deux artistes importants, Bob Marley et Gilberto Gil. La disparition précoce du premier en a fait une légende ; le second est devenu, après une longue carrière, ministre de son pays. L'un comme l'autre, tout en étant porteur d'un projet politique, ont contribué à renouveler la musique et à la rendre plus universelle (Gil a été l'un des fondateurs du mouvement baptisé tropicalisme).
Héritier, comme la plupart de ses homologues contemporains, de Joao Gilberto, c'est grâce à ce dernier que l'accordéoniste Gil se met à la guitare et à la bossa-nova. Compositeur de jingles, il participe en 1964 à l'expérience "Nós Por Exemplo", un spectacle de bossa-nova et de musique brésilienne traditionnelle dirigé par Caetano Veloso. Mais c'est un an plus tard qu'il accède à la notoriété dans son pays, lorsque la chanteuse Elis Regina enregistre une de ses chansons, "Louvaçao". En 1966 sort son premier single, "Aquele Abraço", mélange de bossa-nova, de samba, de rythmes folkloriques et de musique anglo-saxonnes. Trop révolutionnaire pour un pays dirigé par une junte militaire, Gilberto Gil est contraint à l'exil en Grande Bretagne, où il rencontrera et collaborera avec plusieurs grands groupes et artistes de cette époque. Il ne rentrera au Brésil qu'en 1972.
A partir de cette date, le chanteur va multiplier les enregistrements, les concerts et les rencontres. Jorge Ben ("Gil and Jorge"), Caetano Veloso, Gal Costa et Maria Bethania avec lesquelles il apparaît sur "Doces Bararos". En 1978, il se produit aux Etats-Unis, donnant une coloration jazz à sa musique avant d'être influencé par le reggae et travailler avec Jimmy Cliff et les musiciens de Bob Marley, les Wailers. Toujours actif en tant que musicien (il a sorti deux nouveaux disques début 2005), après quarante ans de carrière et près de cinquante albums, Gilberto Gil, militant du Parti Vert et soutien de Luís Inácio da Silva dit Lula (Parti des Travailleurs) pendant la campagne présidentielle, est devenu ministre de la culture en 2003.

Eletracustico

D'abord donné à São Paulo un mois auparavant, le concert est enregistré au cours des prestations au Canecão de Rio de Janeiro des 10, 11 et 12 septembre 2004. Il intervient quelques jours après le décès accidentel, aux Etats-Unis, de son promoteur, le producteur de disque Tom Capone. Comme son nom l'indique, il s'agit d'un spectacle où se mélangent les sonorités de samba, de bossa-nova avec celles du pop-rock et du reggae, les instruments traditionnels et électroniques. Chansons des débuts ou oeuvres plus récentes comme celles composées avec le poète José Carlos Capinan, Gilberto Gil reprend également un titre de Chico Buarque ("A Rita") et ceux écrits ou interprétés par Bob Marley("Three little birds", "No woman, no cry"). L'ami Jorge Mautner, l'une des influences notoires du Cinema Novo brésilien, apparaît en invité surprise sur son propre morceau, "Maracatu atômico", et dans le dernier rappel.
La captation est plutôt réussie, utilisant avec sobriété les ressources mises à sa disposition et les effets de scènes du concert. La caméra accompagne Gilberto Gil en coulisses au moment de sa fausse sortie après "Soy loco por ti América".

Les musiciens :
Chant, guitare : Gilberto Gil
Claviers, accordéon : Cicero Assis
Percussions, chant : Gustavo de Dalva
Guitare, chant : Sergio Chiavazzoli
Percussions, chant : Marcos Suzano
Direction artistique: Tom Capone

Les titres :
1. Refavela
2. Andar com fé
3. Chuck Berry fields forever
4. Cambalache
5. A Rita
6. Mãe solteira
7. A linha e o linho
8. Aquele abraço
9. Touche pas à mon pote
10. Maracatu atômico (avec Jorge Mautner au violon)
11. Se eu quiser falar com Deus
12. La lune de gorée
13. Three little birds
14. Asa branca
15. Não chore mais (No woman, no cry)
16. Guerra santa
17. Soy loco por ti América
18. Drão
19. Nos barracos da cidade (Barracos - avec J. Mautner au violon)

mercredi 29 juin 2005

War of the Worlds (la guerre des mondes)


"If the day ever dawned when I ruled the world" (in "If I ruled the world"*)

Les américains cherchaient depuis mars 2003 au moins une arme de destruction massive. Ils l'ont trouvée, elle se nomme War of the Worlds. Vous comprendrez, dès les premières scènes où ils apparaissent, que nos visiteurs d'une autre planète ont, depuis Close Encouters et E.T., considérablement perdu de leur poésie. La dernière livraison de Steven Spielberg est, bien sûr, le blockbuster attendu de l'été 2005 mais il est aussi un des plus sombres, redoutables et efficaces films de science-fiction de cette dernière décennie, voire au delà. Oublié l'Independence Day de Roland Emmerich à l'origine du report du projet de Spielberg. Et la classique et méritoire version de Byron Haskin fait figure de pantomime comparée à cette nouvelle et assez libre adaptation de l'ouvrage de H.G. Wells paru en 1898. Rarement le terme de divertissement aura-t-il été aussi mal adapté à une œuvre de cinéma. Car War of the Worlds, à l'instar d'un Metropolis, nous ramène implacablement à nous-mêmes, à nos croyances et à nos peurs fondamentales.
Ray Ferrier, un passionné de mécanique, est un des meilleurs grutiers de containers des docks d'une petite ville du New Jersey. Divorcé, Ray doit héberger pour quelques jours ses enfants, Robbie et Rachel, pendant que son ex-femme Mary-Ann rend visite, avec son nouveau mari dont elle est enceinte, à sa famille à Boston. Robbie ne s'entend pas bien avec son père qu'il considère comme un égoïste incapable de s'intéresser aux autres. Mais l'atmosphère n'a pas le temps de s'envenimer davantage. Un étrange et très puissant orage électrique se déclenche. Le courant et les communications sont bientôt coupés et les véhicules tombent tous mystérieusement en panne. Alors qu'il cherche sa Mustang empruntée sans son autorisation par Robbie, Ray assiste en ville à un phénomène d'abord surprenant puis totalement terrifiant. Le sol se fend comme pendant un séisme et libère finalement un engin monstrueux et mortel juché sur trois pieds. Pour survivre encore un peu, il faut fuir et se cacher.
Qu'ils étaient sympathiques ces Invaders de notre enfance comparés à ces intrus là ! Pas question de les approcher et il ne viendrait à personne l'idée d'essayer de leur parler. Comme le clame le personnage appelé Ogilvy : "ce n'est pas une invasion, c'est une extermination." Brutale, radicale, mécanique. Ca ne rigole pas chez les extra-terrestres de la dernière génération spielbergienne. Un peu comme chez les criminels de guerres ethniques. Le paradoxe savamment géré par le film est justement de donner à cette guerre des caractéristiques à la fois fantastiques et humaines. C'est en ce sens notamment, mais également par l'absence de toute prétention patriotique ou héroïque, qu'il est infiniment plus intéressant qu'Independence Day. Moins manichéenne que la version de 1953 (l'homme n'est pas toujours montré sous son meilleur jour), celle-ci place aussi au cœur du récit un personnage ordinaire et non un scientifique élitiste.
Comme dans la plupart des films du réalisateur, l'intrigue principale se superpose aux tensions qui minent une famille recomposée, c'est à dire dans un contexte où la preuve de l'attachement ou de l'amour reste toujours à apporter. Ajouté à une photographie soignée, parfois stylisée, mais réaliste, à un rythme qui ménage assez peu de répit et à une bande son ahurissante, War of the Worlds frappe davantage les esprits et les corps que bon nombre de films du genre. Survival movie au premier degré, il apporte aussi matière à réfléchir sur l'être et les rapports humains. Certains regretteront le manque de vraisemblance de certaines situations et, surtout, la concession d'un double (triple ?) happy ending. Rien que la modeste rançon d'un film réussi destiné à un (très) grand public.
___
*chanson dont un extrait est interprété par Tony Bennett au début de la scène du ferry.

Lemony Snicket's A Series of Unfortunate Events (les désastreuses aventures des orphelins baudelaire)


"- Quel est le terme ?
- Cheveux ?
- Mains ?
- Vraisemblance."

Certains affirment que c'est le succès de la franchise Harry Potter du concurrent Warner Bros. qui aurait donné l'idée au duo DreamWorks-Paramount d'adapter les ouvrages de Lemony Snicket alias Daniel Handle. Il semble pourtant que les droits aient été acquis par les studios Nickelodeon dès 1999, avant même que les premiers volumes de la série ne paraissent et que ne sorte le premier volet de la saga rowlingienne. Les ouvrages en question recèlent, en effet, assez d'ingrédients pour intéresser un producteur et un scénariste. Enfance, environnements gothiques et fantasmagoriques, morceaux de bravoure, cruauté sordide et humour décalé sont au menu de ces Unfortunate Events. Brad Silberling, le réalisateur de Casper, a été chargé de l'adaptation du probable premier épisode d'un nouveau cycle dont les enfants sont, à tous les sens du terme, la principale cible. Le scénario repose sur les trois premiers tomes des onze écrits par Daniel Handle*. Nommé dans des catégories techniques aux derniers Academy Awards, le film, tourné en studios, doit, il est vrai, beaucoup à la qualité de ses décors, costumes et aux effets spéciaux créés par I.L.M.
Les enfants Baudelaire ne sont pas des enfants comme les autres. Violette, l'aînée, est une inventrice très inspirée. Klaus est un érudit livresque et la très jeune Prunille possède un mordant à presque toutes épreuves. Lorsque leurs parents périssent dans le mystérieux incendie de la demeure famille, la fratrie est confiée par Monsieur Poe, l'exécuteur testamentaire, à un lointain parent, le comte Olaf. Mais les orphelins ne tardent pas à comprendre que l'ignoble personnage, qui leur impose toutes les corvées, en veut avant tout à leur héritage. Quitte à les faire disparaître. Ayant commis une irréparable bévue, Olaf se voit retirer sa tutelle au profit de l'oncle Monty, un éminent erpétologue, bientôt retrouvé mort prétendument à la suite d'une attaque reptilienne, puis de la poltronne et grammairienne tante Agrippine.
Lemony Snicket's A Series of Unfortunate Events est un film très plaisant à regarder, en particulier sa première partie dont la tonalité lugubre et le traitement pessimiste la destine davantage au public adulte qu'aux juniors. Nous sommes, ici, plus proches de Edward Scissorhands de Tim Burton que des adaptations de Charles Dickens ou de Mark Twain. Hélas, le film ne tient pas ses promesses sur la distance, surtout sur le plan narratif. La seconde partie, tout en restant assez attrayante, perd de sa tonicité et de son humour subversif et décapant. Si Jim Carrey s'impose dans une interprétation adaptée mais, chez lui, convenue du personnage multi-facettes d'Olaf, on aurait apprécié une prise de risque plus grande avec, par exemple, un Robert De Niro en grande forme (un vœu pieux ?) dans le rôle. La (très) jeune classe se comporte fort bien sans pour autant crever l'écran. Heureusement, Meryl Streep est là, ainsi que Timothy Spall(tiens, à l'affiche de Harry Potter and the Prisoner of Azkaban également !), son partenaire de The Last Samurai, l'épatant Billy Connolly et Dustin Hoffman dans une apparition. Enfin, soulignons la qualité du travail de Rick Heinrichs, l'oscarisé responsable des décors de Sleepy Hollow sur lequel opérait également le directeur de la photographie Emmanuel Lubezki.
___
*"Tout commence mal", "Le laboratoire aux serpents" et "Ouragan sur le lac".