jeudi 26 mai 2005

Yi yi



"Papa, on a le droit de savoir que la moitié de la vérité ?"

Yi yi pourrait être l'une des réponses résumées à la question : "pourquoi aimez-vous le cinéma asiatique ? Le film bénéficie, il est vrai pour ceux qui l'on vu, de l'excellente impression laissée par le chef-d'œuvre d'Edward Yang, Guling Jie Shaonian Sha Ren Shijian. Mais, même considéré isolément, il constitue l'un des films majeurs de cette année 2000, proche, conceptuellement plus qu'esthétiquement, du Hua yang nian hua de Wong Kar-wai avec lequel il était en compétition au Festival de Cannes. Le jury présidé par Luc Besson a distingué l'acteur principal de ce dernier et décerné au premier un "Prix de la mise en scène" à la saveur palmée. La production hong-kongaise prenait toutefois, l'année suivante, une modeste revanche en remportant, face à son rival taïwanais, le "César" du meilleur film étranger. Mais, l'un comme l'autre n'ont pas besoin de statuettes ou de mentions pour exister, plaire, ravir ou subjuguer leur public. "Leur" car il s'agit d'œuvres exigeantes, pour lesquelles l'attention et la patience (Yi yi dure environ 165 minutes) sont des vertus essentielles. Mais celles-ci sont alors largement récompensées.
Le jour ("de toutes les chances") du mariage de son beau-frère, NJ Jian connaît deux événements qui vont bouleverser son existence. Il rencontre fortuitement A-Sui, son amour d'enfance qu'il n'a pas vue depuis plus de vingt ans. Elle est à présent mariée à un grand assureur sino-américain et vit aux Etats-Unis. Un peu plus tard, la mère de Min-Min, son épouse, est victime d'une attaque en leur absence et est hospitalisée d'urgence. Elle regagne cependant bientôt, toujours dans le coma, sa chambre au domicile de sa fille où ses enfants et petits-enfants son chargés de lui parler pour entretenir ses capacités sensorielles. Pendant que Min-Min s'effondre nerveusement et part se ressourcer dans un monastère bouddhiste, que Ting-Ting, sa fille, noue une relation d'amitié avec Lili, une nouvelle voisine aux amours désordonnés, que Yang-Yang, son jeune fils de huit ans, découvre la face cachée du monde, NJ négocie avec le japonais Ota, le créateur de logiciels de jeux novateurs susceptible de sauver l'entreprise informatique dont il est l'associé et le directeur général. Il profite de son voyage à Tokyo pour revoir plus longuement A-Sui, également en déplacement dans la capitale nippone.
Le thème majeur de Yi yi (qui signifie "Un un", Yi étant la première unité signifiante du dictionnaire chinois) est probablement la génération. Le film ne suit-il pas (dans l'un des cas, le verbe n'est pas vraiment adapté) le parcours de quatre représentants, appartenant à la même famille (deuxième sens du mot), d'autant de génération. Et la sexualité (troisième et dernière définition) n'est-elle pas au cœur des événements qui les touchent ? Dans une société taïwanaise occidentalisée, urbanisée (le bruit de la ville est très présent sur la bande son) et en crise, devenant, en quelque sorte, un modèle universel, Edward Yang saisit, avec intelligence et simplicité, les espoirs, les hésitations et les malaises de ses personnages et de notre civilisation planétaire. A travers cette peinture délicate, sensible, les crises économique et de société que l'on présente souvent comme des faits générateurs deviennent, de manière évidente, la projection, aux sens platonicien et freudien du terme, d'une crise essentiellement humaine. Et pour échapper à cette réalité faite de vrais doutes et de fausses certitudes, pour éviter de dresser un bilan sincère, d'accepter sa culpabilité et d'exclure, dans une vision peut-être pessimiste, la possibilité d'une seconde chance, comme le fait le personnage principal du film, la tentation n'est-elle pas de se réfugier dans un monde virtuel ? Deux séquences du film soulignent, avec un humour noir, ce danger, en particulier celle où des images d'échographie pré-natale sont sonorisées par une présentation de logiciel de jeu. Pas une scène, pas un plan inutile, une gageure pour un métrage de près de trois heures, des transition parfois sèches, comme s'il s'agissait d'un documentaire, et de très bons acteurs. Yi yi est un film remarquable parce qu'au delà de la seule émotion, il parvient, sans artifice, à mettre en vibration notre corde sensible. 

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