mardi 5 avril 2005

Pourquoi (pas) le Brésil


"- Je ne comprends pas ce que vous voulez dire.
- Moi non plus."

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Dans le contexte contemporain du cinéma formaté, lisse* et réputé consensuel, regarder le cinquième long métrage de Laetitia Masson est un luxe dont il ne faut surtout pas se priver. Cette vraie-fausse adaptation de l'ouvrage de Christine Angot est, tout à la fois, une sombre et pourtant belle histoire d'amour(s), un hommage véritable à l'auteur de "L'Inceste" et une formidable expression des convictions et des doutes ("sentiments" serait trop signifiant et, d'une certaine manière, impudique) profonds qui animent la réalisatrice. Si l'on excepte La Repentie, on pourrait dire qu'avec Pourquoi (pas) le Brésil, Laetitia Masson poursuit sa "Frise de la vie" (pour utiliser une référence munchienne), traductions figurées successives de ses obsessions, entamée avec En avoir (ou pas), en transposant, en quelque sorte, au cinéma la démarche anti-académique du peintre et son credo : "montrer des hommes et des femmes, Ndlr qui respirent, s'émeuvent et s'aiment".
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La réalisatrice Laetitia Masson, n'ayant pas tourné de films depuis deux ans, connaît de sérieuses difficultés financières. Elle est alors contactée par Maurice Rey, un producteur. Celui-ci lui propose d'adapter "Pourquoi le Brésil ?", un livre de Christine Angot paru en 1999, présenté comme autobiographique et inspiré par la rencontre amoureuse de l'écrivain avec le journaliste Pierre-Louis Rozynès. Le hasard veut que Laetitia et Christine sont amies dans la vie. La réalisatrice est même l'un des personnages du roman. Laetitia Masson commence par refuser, considérant le livre comme impossible à adapter ; puis elle finit par accepter. Pour pouvoir raconter cette histoire d'amour, elle tente alors d'en inventer une, à défaut de la vivre vraiment elle-même. Commence alors la douloureuse phase d'écriture du scénario, puis celles de la composition du casting et du tournage inabouti.
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La meilleure façon d'adapter un livre au cinéma n'est-elle pas de montrer le processus de création du film plus que de simplement l'illustrer ? Ou, pour le dire autrement, avec les mots de Laetitia Masson elle-même, ne faut-il pas que ce soit "le livre qui adapte le film" ? La question, comme l'exercice, ne constituent pas une simple figure d'acrobatie ou de coquetterie intellectuelle. Et Pourquoi (pas) le Brésil, par ses propres contradictions et/ou négations (apparentes dès le titre), intelligentes et conciliatrices, résout remarquablement cette équation. Comme l'ouvrage, le film mêle réalité et fiction et se lit, pardon, se voit, en partie du moins, comme une intrusion dans la vie de la réalisatrice. Et le subtil mécanisme d'identification à deux ou à trois (Elsa est Laetitia e(s)t Christine) imaginé puis développé dans le scénario fonctionne parfaitement bien dans cette perspective créatrice. La lumineuse présence et la superbe prestation, dans un délicat rôle multiple, d'Elsa Zylberstein apporte, encore et enfin, un supplément d'âme à ce beau et étonnant film.
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*que l'on se souvienne que le terme, que l'on peut orthographier "lice", signifie également "assemblage de pièces de bois servant de garde-fou". Laetitia Masson ne craint visiblement pas l'irrationnel et la déraison... et c'est tant mieux !

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