jeudi 10 février 2005

Werckmeister harmóniák (les harmonies werckmeister)


"Celui qui a peur ne sait rien."

Werckmeister harmóniák est le dixième long métrage du réalisateur hongrois Béla Tarr mais le premier à avoir été distribué en France. Adapté d'un roman de son compatriote Laszlo Krasznahorkai ("La Mélancolie de la résistance"), auteur avec lequel le réalisateur a déjà collaboré à deux reprises, le film est une œuvre étonnante plus que difficile, exigeante plus qu'hermétique. Cette fable philosophico-poétique, aux allures de parabole politique, envoûte littéralement le spectateur sensible à ses délicates et étranges nuances impressionnistes, pour peu qu'il ait encore conservé la précieuse et rare vertu de patience. Présenté à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes 2000 (le film aurait largement mérité une sélection officielle), Werckmeister harmóniák a reçu le "Prix des lecteurs du "Berliner Zeitung" au terme de la Berlinale 2001.
Dans une petite ville non identifiée livrée à un certain abandon et aux privations, le facteur Janos Valushka, après avoir mimé l'Œuvre cosmologique dans un bar interlope, se rend nuitamment chez György Eszter, un musicologue et un personnage influent dont il prend visiblement soin. Un spectacle itinérant est arrivé en ville et s'est installé sur la grand-place. Il montre une gigantesque baleine morte et un mystérieux prince. Cette arrivée coïncide avec la naissance et la montée d'une certaine tension. On rapporte que des vitrines ont été brisées dans une galerie commerciale et des hommes sont réunis en permanence sur la place. Alors qu'il s'apprête à dormir, Janos reçoit la visite de Tünde Eszter, l'épouse séparée du musicologue. Celle-ci lui demande de convaincre son mari de constituer un groupe de soutien financier à un "Front de la propreté" qu'elle entend constituer pour rétablir l'ordre. Le chaos n'a, en effet, jamais été aussi proche.
Il y a, tout à la fois, du Buñuel et du Bergman des origines dans cette œuvre remarquable qu'est Werckmeister harmóniák. Original, fantastique, intemporel (si l'on exclut la toute dernière partie du métrage), le récit, d'inspiration eschatologique, est construit sur une dialectique fondamentale, celle du spirituel et du temporel ou, pour le dire autrement, du divin et de l'humain. Le film oppose et réunit, sur plusieurs niveaux de lecture, l'ordre primordial et le désordre contingent, le transcendant et l'immanent, l'unité et le discordant, la lumière et l'ombre, l'individu et la foule. Cette dialectique est symbolisée par la théorie qui donne son titre au film, celle d'Andreas Werckmeister, compositeur du XVIIe siècle qui, en divisant l'octave en douze parties mathématiquement égales, est sensé avoir rompu le lien entre la musique et le divin. C'est cette harmonie primitive qui est l'objet de la quête du personnage de György Eszter, résistant d'un type nouveau à la période trouble que traverse son pays. La narration est portée par une mise en scène faite de longs plans séquence, privilégiant l'introspection par rapport aux dialogues. La superbe et irrationnelle scène du vieil homme découvert derrière un rideau dans l'hôpital saccagé par la foule est, là encore, emblématique de la grande intensité donnée par les images dans ce film unique qu'est Werckmeister harmóniák

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