mardi 18 janvier 2005

10e chambre, instants d'audience


"Affaire suivante."

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La justice connaît, invariablement depuis plusieurs années, une crise de représentation vis-à-vis des français. Dans les sondages régulièrement réalisés sur les institutions de la République, environ deux-tiers d'entre eux ne lui accordent pas leur confiance. Une première explication du phénomène tient, peut-être, à son caractère coercitif. Mais la police, avec laquelle elle partage cette particularité, est créditée de plus de 50% d'opinion positive. La méconnaissance du public sur son rôle, son fonctionnement et ses moyens peut également être une raison avancée. Dix ans après Délits flagrants, Raymond Depardon apporte sa contribution, sous forme de témoignage civique, au débat. En obtenant l'autorisation exceptionnelle* de tourner dans l'enceinte d'un tribunal, le photographe cofondateur de l'agence Gamma, avec 10e chambre - instants d'audience, permet au plus grand nombre de pénétrer et d'assister aux séances publiques de cette juridiction des délits, chambre du Tribunal de Grande Instance, qu'est le Tribunal correctionnel.
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Cinq extraits d'audiences et leurs délibérés de la Xe Chambre du Tribunal correctionnel de Paris, présidée par Mme Michèle Bernard-Requin (l'un des substituts du procureur dans Délits flagrants) ont été montés pour le film. 15 mai 2003 : conduite en état d'ivresse - outrage verbal à contractuelle. 20 mai 2003 : conduite en état d'ivresse - port d'arme prohibée - appels malveillants. 30 mai 2003 : demande de mise en liberté avant audience pour vol du 13 juin 2003 : vol à la tire avec outrage et rébellion. Comparution immédiate : trafic de stupéfiants - vol en réunion - agression - séjour illégal en France. 19 juin 2003 : port d'arme prohibée, refus de prise d'empreintes - refus d'obtempérer et absence de permis de conduire.
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Présenté en sélection officielle, hors-compétition, au Festival de Cannes 2004, 10e chambre est une oeuvre importante pour au moins deux raisons. La première est qu'il donne matière à réflexion sur un des pouvoirs institutionnels les plus essentiels et controversés, en son sein même, de la République. A des années-lumière d'une prétendue télé-réalité, le film de Depardon est un document vrai, sans fard ni mise en scène. Le cinéaste-reporter a, si l'on peut dire, simplement posé ses deux caméras dans la salle d'audience : une en direction du juge ou vers sur le procureur général, une autre sur le défendeur et son avocat, et, le cas échéant, sur la partie civile. La seconde raison, intimement liée à la première, est que le film ne "juge" pas. Tous les "protagonistes" sont présentés, certes dans leur rôle respectif, mais sans parti pris, voyeurisme ou artifice visuel qui en avantagerait certains au détriment des autres. Le spectateur est alors libre d'apprécier les affaires évoquées avec recul et flegme ou, au contraire, avec implication et émotion. La présence des caméras a, de toutes évidences, une incidence chez certains des intervenants, les avocats en particulier. Mais l'inconvénient n'est rien comparé au bénéfice qu'apporte ce film-citoyen à ceux, et ils sont ou devraient être nombreux, que le fonctionnement de la justice à la recherche de sa vérité judiciaire intéresse. Un bémol, toutefois, en forme de question aux incontestables qualités du film : Mme Bernard-Requin est-elle représentative de sa corporation ?
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*la loi du 11 juillet 1985 n'autorise normalement que l'enregistrement des procès à caractère historique, à condition qu'ils soient diffusés au moins vingt ans après l'audience. Pour 10e chambre, l'équipe n'a filmé qu'avec l'autorisation écrite de 169 personnes, dont 25 ont été retenues, en supprimant leurs noms et en attendant le(s) jugement(s) définitifs(s) avant de sortir le film. Il n'y a pas de précédent à cette autorisation.

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