jeudi 30 décembre 2004

Red, White & Blues


"... champs de coton de la Tamise."

Comme cela s'est passé dans l'histoire de la musique, la meilleure façon de rendre hommage au blues des origines est de s'intéresser à celui qui est né et s'est magnifiquement développé en Grande-Bretagne à partir des années 1950 et à quelques uns de ses formidables créateurs et interprètes. Le réalisateur (Stormy Monday dans lequel la musique, composée par le metteur en scène, joue un rôle important, Internal Affairs, Leaving Las Vegas) mais aussi pianiste Mike Figgis, second européen, après Wim Wenders, pouvait-il participer au projet collectif The Blues sans traiter ce sujet spécifique ? Ce sixième opus, qui porte haut les couleurs du pays qu'il évoque, a choisi le modèle du simple documentaire, mélangeant extraits d'interviews et images d'archives mais le résultat est, au moins pour trois raisons principales, réellement passionnant. D'abord, parce que Figgis a considéré, avec raison, que la "meilleure façon de filmer des musiciens est de les serrer de près" et il s'y tient, son film évitant ainsi le côté conventionnel et parfois lisse du genre. Ensuite, parce que l'on ne parle pas de la même manière et ne reçoit pas des réponses identiques lorsqu'on est soi-même musicien. Enfin, parce que Red, White & Blues est rythmé par une superbe session live réunissant quelques jolies pointures du blues anglais et une non-moins jolie découverte, la chanteuse écossaise Lulu.
Studios d'Abbey Road de Londres, du 11 au 13 mars 2002. Van Morrison, Tom Jones, Jeff Beck et quelques autres artistes sont réunis pour jouer, sans cérémonie, des titres du répertoire blues. C'est aussi l'occasion de les interroger sur l'histoire du blues au pays de sa gracieuse majesté. L'après-guerre : émergence des big bands et autres orchestres de danse des grands hôtels, héritage de Jelly Roll Morton et du jazz, opposition revival/be bop, rôle du trompettiste Ken Colyer et de Big Bill Broonzy. Skiffle & Lonnie Donegan : apparition et influence de ce folk britannique, inspiré du bluegrass américain crée par les anciens émigrants irlandais ou écossais. "Bad Penny Blues" : crée par le trompettiste Humphrey Lyttelton dont le boogie a "largement" inspiré le "Lady Madonna" des Beatles. Groupes en tournée : introduction de Ray Charles en Grande-Bretagne par Eddie Cochran, concerts de Muddy Waters, John Lee Hooker et d'autres maîtres du blues en Angleterre. Clubs : comme le "Flamingo" qui permet, notamment, aux musiciens du cru d'apprendre leur métier devant une population majoritairement antillaise mais fréquenté par les G.I. en week end et par un certain Otis Redding. Vinyl : les productions prisées des labels US Vee-Jay, Riverside ou Prestige et le rôle des radio militaires US en Europe. "Stormy Monday" : l'histoire d'un single né sous X ou C. Farlowe est-il Noir ? Guitars : leur première guitare, les suivantes et la technique des guitaristes. L'explosion des sixties : la révolution électrique initiée par Alexis Korner et Cyril Davies au "Marquee", Eric Clapton, Spencer Davis, l'influence blues sur les Beatles et les Stones, John Mayall et Cream Retour en Amérique : les groupes britanniques investissent les scènes et les studios d'enregistrement US et permettent une reconnaissance du blues par la population locale blanche, tentatives de définition du blues Portée du blues anglais ? une conclusion en forme de question.
Est-ce un paradoxe si l'un des meilleurs documentaires de la série The Blues est consacré au blues Blanc ? Non, car (cela a déjà été dit) les musiciens britanniques ont été ceux qui ont le mieux compris et servi ce genre universel né dans le sud des Etats-Unis. Et ils le prouvent encore devant les caméras de Mike Figgis qui a lui-même activement participé à la période dont il est question en jouant dans un groupe de blues, prémisse de Roxy Music, aux côtés de Bryan Ferry. Pour mettre le mieux en évidence et résumer le phénomène, il suffirait d'écouter l'édifiante et drôle anecdote de son prétendu homonyme racontée par Chris Farlowe dans le documentaire. Mais, derrière le minimalisme (une qualité à mettre à son crédit) du film, lequel alterne, grâce à un montage rapide mais intelligent, interviews, archives et prestations musicales qui se répondent les uns aux autres, c'est une page essentielle de l'histoire de la musique qui est brossée, le rôle pédagogique de ce travail étant un de ses atouts incontestables. Toutes les interventions ne sont, bien sûr, pas d'un intérêt équivalent et, curieusement, Clapton apporte une contribution de commentateur nettement inférieure à celle qu'il a eu en tant que musicien. Rassurez-vous, il y a assez d'excellents moments pour vous faire oublier cette faiblesse. Savourez notamment les prestations de Van Morrison et de Jeff Beck et découvrez, si ce n'est déjà fait, le talent de Lulu. Un regret, toutefois, en forme de question : pourquoi ne pas voir donné la parole à Jon Cleary, ce formidable pianiste-compositeur anglais installé à la Nouvelle-Orléans et fondateur des "Absolute Monster Gentlemen" ?

Intervenants : Humphrey Lyttelton*, Chris Barber, Lonnie Donegan*, George Melly, Eric Clapton, John Mayall, Albert Lee*, Bert Jansch, Eric Burdon, Stevie Winwood, Van Morrison*, Davy Graham, Georgie Fame*, Tom Jones*, Mick Fleetwood, Chris Farlowe*, John Porter, Peter Green, Jeff Beck*, B.B. King.

Archives : Big Bill Broonzy, Cream, Alexis Korner, Sonny Terry & Brownie McGhee, Rolling Stones, Sister Rosetta Tharpe, Muddy Waters, Lead Belly, B.B. King.
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*également interprètes auxquels s'ajoutent Peter King, Lulu et Jon Cleary.

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