mercredi 15 décembre 2004

Devil's Fire


"... C'était une affaire de destin."

Charles Burnett est, avec Spike Lee, l'un des acteurs les plus représentatifs du cinéma afro-américain contemporain. Mais, contrairement à ce dernier, il ne jouit pas d'une notoriété aussi importante, même auprès de la communauté Noire de son pays. Avant de participer au projet collectif conduit par Martin Scorsese, ce natif de Vicksburg (Mississippi) avait réalisé deux drames, Killer of Sheep et To Sleep with Anger (le premier, alors qu'il était encore étudiant à l'UCLA Film School), et un polar, The Glass Shield, qui n'avaient pas de lien direct avec la musique. L'intérêt majeur de Devil's Fire est de respecter, "à la note", le cahier des charges de la série : raconter, de manière personnelle et passionnée, un fragment de l'histoire du blues.
Junior (Nathaniel Lee Jr.) est envoyé par sa mère de Californie vers le Mississippi, pour être confié, avant ses douze ans, à son oncle pasteur Flem. Mais c'est son autre oncle, Buddy (Tommy Redmond Hicks*), qui vient le chercher à la gare. Joueur, homme à femmes et amateur de blues, celui-ci va lui faire découvrir une facette du monde et de l'existence que la mère de Junior aurait préféré cacher à son fils. La Nouvelle-Orléans de 1956 est encore douloureusement marquée par les inondations de 1927, la ségrégation raciale et résonne au rythme d'un blues qui a du mal à résister aux assauts du rock'n'roll naissant. Junior ne sortira pas indemne de cette courte expérience.
"Tu serais étonné de voir qui est au ciel et qui est en enfer." Ce quatrième opus de The Blues est, avec The Soul of a Man, probablement le plus intéressant de la série. Comme ce dernier, il mélange fiction partiellement autobiographique et images d'archives. Nous sommes donc invités à suivre le parcours initiatique de Charles Burnett enfant, tiraillé entre les conseils, sous forme de menaces, religieuso-moralisatrices prodigués par sa mère et les tentations diverses qui jalonnent la vie du désoeuvré oncle Buddy. Alternative et opposition symbolisées sur le plan musicale par les deux genres musicaux frères que sont le gospel et le blues. A travers cet itinéraire imposé (mais avec le consentement implicite de l'intéressé), le film nous montre la réalité sociale et économique des Etats-Unis de la première moitié du XXe siècle, marquée par la misère de la population Noire, la subsistance d'une forme d'esclavage et les meurtres raciaux (le nom du jeune Emmett Till** est évoqué dans l'introduction). Il nous fait aussi et surtout (re)découvrir les hommes et les femmes qui ont donné naissance au blues. Les figures emblématiques de Son House, Sister Rosetta Tharpe, Reverend Gary David, Muddy Waters, Willie Dixon, Bessie Smith, Gertrude Ma Rainey ou Ida Cox sont remémorées en images et en chansons. L'importance de la place occupée par les chanteuses montre, même si leur sort n'était pas toujours enviable, que l'émancipation féminine au sein de la communauté afro-américain avait sensiblement précédé celle des femmes Blanches. Devil's Fire, en mêlant destin personnel et histoire des peuples et de la musique, est une œuvre simple mais réellement attachante.
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*déjà présent dans The Glass Shield, il interprétait également un rôle principal dans She's Gotta Have It de Spike Lee.
** jeune garçon noir de 14 ans originaire de Chicago, disparu le 28 août 1955 alors qu'il séjournait chez son oncle dans le Mississippi. Son corps mutilé avait été retrouvé trois jours plus tard dans la Tallahatchie River. Les assassins ne se cachent pas et se vantent d'avoir "rétabli l'honneur de la race blanche". Ils sont par la suite acquités par un jury 100% blanc qui déclare qu'il faut "préserver la civilisation blanche contre les hordes nègres". Le FBI refuse d'enquéter et l'État Fédéral n'intervient pas. Quelques années plus tard, les assassins raconteront en détail dans un article de "Look Magazine", les tortures qu'ils ont fait subir à Emmett.

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